L’Occident face à la crise des vocations scientifiques

Le Monde, Brigitte Perucca, le 27 novembre 2008

L’Occident face à la crise des vocations scientifiques

Le mal s’accroît, mais le diagnostic s’affine. Les pays développés, qui souffrent, sans exception, d’une désaffection des jeunes pour les filières scientifiques, pointent du doigt la façon dont les sciences sont aujourd’hui enseignées. Trop de théorie, pas assez de pratique ; des enseignements qui n’invitent pas au questionnement ; une approche trop disciplinaire et cloisonnée, sans perspective historique ; une hyper-sélection.

Experts et universitaires ont saisi, mardi 25 novembre, l’occasion du colloque européen « Sciences en société », organisé à Paris, pour exprimer la nécessité de changements radicaux dans, mais aussi hors l’école, si les pays de l’Union européenne (UE) veulent changer la donne. Car le bilan quantitatif n’est pas brillant. Bien que l’Union puisse se targuer de compter en 2006 encore deux fois plus de diplômés en sciences et technologies que les Etats-Unis et près de quatre fois plus que le Japon, la comparaison devient nettement moins avantageuse face aux puissances émergentes, Inde et Chine en tête.

Sans évoquer ouvertement le risque d’une pénurie d’ingénieurs, les responsables politiques craignent qu’à terme, la capacité d’innovation de l’Union n’en soit altérée. D’autant que l’attraction, devenue fatale, des diplômés scientifiques pour les mathématiques financières et la gestion a pu, notamment en France, jouer en défaveur des métiers d’ingénieurs. Même si la crise changeait la donne, il n’est pas sûr que les jeunes optent davantage pour les carrières d’ingénieurs. Dans les entreprises, le différentiel de salaires a toutes les chances de se maintenir au bénéfice des gestionnaires tandis que de nombreux doctorants restent sur le carreau. « Dans les secteurs d’ingénierie, on a encore des flux, mais nous allons sûrement manquer d’ingénieurs« , estime Gilbert Béréziat, chargé des relations internationales à Paris-VI. Des pénuries « sectorielles », nuance la Conférence française des écoles de formation des ingénieurs.

Si les étudiants continuent de se ruer sur l’informatique (+ 80% d’étudiants dans l’UE depuis 2000), les sciences de la vie stagnent (+ 1%), tandis que les sciences physiques, grandes victimes de ce rejet collectif des jeunes Européens, dégringolent (- 5,5 %). Le phénomène touche aussi bien la Corée que les Etats-Unis, ce pays ne devant son salut qu’à l’afflux massif d’étudiants étrangers, asiatiques en particulier, sur son territoire.

CHANGER L’APPRENTISSAGE

Une coupure sépare la vieille Europe des nouveaux entrants. Selon un sondage Eurobaromètre, publié le 14 novembre et réalisé auprès de 1 000 jeunes de 15 à 25 ans dans chacun des 27 pays de l’UE, c’est en France, en Allemagne et au Royaume-Uni que les disciplines scientifiques attirent le moins. A l’inverse, elles gardent un certain attrait à l’Est de l’Union.

Quelles que soient les nuances statistiques, les esprits convergent sur l’idée que, si les sciences intéressent, voire passionnent, tandis que les filières scientifiques se vident, c’est qu’il convient de changer l’apprentissage. Car, contrairement à un stéréotype longtemps véhiculé, la science ne fait pas peur. Tout en étant avertis des risques liés aux OGM, des excès de la pollution et des dangers potentiels des industries chimiques, les deux tiers des jeunes Européens (77 %) estiment que « les sciences apportent plus de bénéfices que de nuisances ». Autrement dit, « il ne s’agit pas de désintérêt, mais bien de désaffection », résume Lionel Larqué, physicien et président de l’association Les Petits Débrouillards.

« Il existe aujourd’hui un consensus en Europe sur la nécessité de changer la pédagogie des sciences, la formation des professeurs, et de commencer tôt l’apprentissage », estime l’astrophysicien et membre de l’académie des Sciences Pierre Léna. Davantage d’expérimentations et d’investigations, moins de cours magistraux : dans un rapport publié en 2007 qui prône une « pédagogie renouvelée » de l’enseignement scientifique, l’ancien premier ministre et député européen Michel Rocard reprend le même discours. Il plébiscite des programmes tels que « La main à la pâte » et « Pollen », qui en est la déclinaison européenne et qui s’étend des écoles au niveau secondaire.

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