Jean Ziegler : Le massacre de la faim se déroule dans une normalité glacée – Des crises ou une crise planétaire ?

humanité.fr, propos recueillis par J. S., février 2011

http://www.humanite.fr/04_02_2011-%C2%AB-le-massacre-de-la-faim-se-d%C3%A9roule-dans-une-normalit%C3%A9-glac%C3%A9e-%C2%BB-464377

« Le massacre de la faim se déroule dans une normalité glacée »

Par Jean Ziegler, membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (*).

Des crises ou une crise planétaire ?

Dans la crise planétaire où se croisent plusieurs crises, la crise alimentaire est singulière. Parmi tous les droits humains, le droit à l’alimentation est celui qui est le plus cyniquement, le plus brutalement violé aujourd’hui. Toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Près d’un milliard d’êtres humains sont gravement sous-alimentés. La courbe des victimes dépasse celle de la croissance démographique. Selon la FAO, l’agriculture mondiale pourrait nourrir sans problème 12 milliards d’êtres humains, or nous sommes 6,7 milliards sur la planète. Un enfant qui meurt de faim est donc un enfant assassiné.

Quelles sont les causes de cette crise ? Pour la population rurale, celle qui produit sa nourriture (3,2 milliards de personnes), plusieurs raisons structurelles sont identifiables. D’abord, le dumping agricole. Les pays de l’OCDE ont versé, l’an dernier, 345 milliards de dollars de subventions pour leurs productions et exportations agricoles, ce qui fait que, sur n’importe quel marché africain, on achète des légumes grecs, français, portugais, allemands pour le tiers ou la moitié du prix du produit africain correspondant. Pendant ce temps, le paysan africain, sa femme et ses enfants s’épuisent au travail sans la moindre chance d’atteindre le minimum vital convenable. L’hypocrisie des commissaires de Bruxelles est abyssale. Ils organisent la faim sur le continent africain et déploient des forces militaires pour intercepter les survivants qui essaient de passer les frontières sud de l’Europe.

La deuxième raison est la vente de terres. L’an dernier, 41 millions d’hectares de terres arables africaines ont été achetés ou louées pour 99 ans par les hedge funds ou par des pays comme la Corée du Sud. La Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement, etc, financent ce vol en arguant que seuls des groupes financiers sont capables de rendre ces terres réellement productives. Les familles d’agriculteurs dépossédées vont alors grossir les bidonvilles avec les conséquences qu’on connaît : prostitution enfantine, sous-alimentation, etc.

Troisième raison : la dette extérieure. Au 31 décembre 2009, celle des 122 pays dits du « tiers-monde », était de 2 100 milliards de dollars. La presque totalité de leurs gains à l’exportation est donc absorbée par les intérêts de la dette.

Quant aux populations urbaines, selon la Banque mondiale, 2,2 milliards de personnes vivent avec 1,25 dollar par jour, en dessous du seuil d’extrême pauvreté. Les prix des trois aliments de base – riz, maïs, blé – ont explosé. La tonne de blé meunier a doublé en un an – le prix de la baguette, multiplié par trois, a été un facteur essentiel dans la formidable révolution tunisienne. On peut expliquer ces augmentations de prix en partie par Lire la suite

Le nouveau film de Marie-Monique Robin « Notre poison quotidien  » sera diffusé le 15 mars sur ARTE, à 20 heures 40. Article suivi de la recette à a cerise !

http://www.ecoattitude.org/accueil/node/606

Un message de Marie-Monique Robin, auteur du film « Le monde selon Monsanto »

Madame, Monsieur,

J’ai le plaisir de vous informer que mon film « Notre poison quotidien « sera
diffusé le 15 mars sur ARTE, à 20 heures 40
– (PS et précédemment sur la TV romande le 7 février !! http://robin.blog.arte.tv/2011/01/23/diffusion-de-notre-poison-quotidien-en-belgique-et-suisse/)

 Le même jour mon livre éponyme sera dans les librairies ainsi que le DVD.

Je commence aujourd’hui une série de papiers qui vont expliquer la démarche que j’ai suivie pour réaliser cette longue enquête qui m’a conduite dans six pays européens (France, Italie, Allemagne, Suisse, Grande Bretagne, Danemark), aux Etats Unis, au Canada, au Chili, et en Inde.

Pourquoi cette enquête ?

Alors que je travaillais sur le passé et le présent peu glorieux de Monsanto et que je découvrais comment depuis sa création au début du XXème siècle la firme n’a cessé de cacher la haute toxicité de ses produits, je me suis posé trois questions :

 – Est-ce que le comportement de Monsanto constitue une exception dans l’histoire industrielle ?

 – Comment sont réglementés les 100 000 molécules chimiques qui ont envahi notre environnement depuis la fin de la seconde guerre mondiale

– Y-a-t il un lien entre l’exposition à ces produits chimique et « l’épidémie de maladies chroniques évitables » que l’Organisation mondiale de la santé OMS) a constatée surtout dans les pays dits « développés » ( les termes que j’ai mis entre guillemets sont ceux utilisés par l’OMS) ?
 Consciente que le champ d’investigation était très vaste, j’ai décidé de ne m’intéresser qu’aux seuls produits chimiques qui entrent en contact avec notre chaîne alimentaire du champ du paysan (pesticides) à l’assiette du consommateur (additifs et plastiques alimentaires).

Avant d’entreprendre mon nouveau tour du monde, j’ai réalisé un long travail de recherche* préparatoire qui a consisté à lire de nombreux livres (une centaine, essentiellement anglophones), rapports, études scientifiques et j’ai rencontré des experts (toxicologues, biologistes, représentants des agences de réglementation) , soit directement lors de rendez-vous personnels ou lors de colloques spécialisés. J’ai aussi consulté les *archives d’organisations internationales comme l’OMS ou le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui dépend de la première.

plus d’infos sur http://robin.blog.arte.tv/category/notre-poison-quotidien/

Marie-Monique Robin

 
Et pour … vous mettre en appétit, voici  la « Recette de la tarte aux cerises » de Claude Bourguignon :
 Voici, la liste des produits chimiques utilisés pour la fabrication d’une tarte aux cerises de  supermarché, depuis le champ de blé jusqu’à l’usine agro-alimentaire. Bon appétit ! 

 Histoire de la Pâte

Pour obtenir la farine, les grains de blé ont été enrobés d’un fongicide avant semis. Pendant sa culture, le blé a reçu de 2 à 6 traitements de pesticides selon les années, 1 traitement aux hormones pour raccourcir les tiges afin d’éviter la verse et 1 dose importante d’engrais: 240 kg d’azote, 100 kg de phosphore et 100 kg de potassium à l’hectare, tout de même !

Le blé moissonné, dans le silo, après récolte, les grains sont fumigés au tétrachlorure de carbone et au bisulfide de carbone, puis arrosés au chlopyriphosméthyl.
Pour la mouture, la farine reçoit du chlorure de nitrosyl, puis de l’acide ascorbique, de la
farine de fève, du gluten et de l’amylase. Ensuite, il faut faire lever la pâte. La poudre levante est traitée au silicate de calcium et l’amidon est blanchi au permanganate de potassium.

Pas de pâte sans corps gras. Ceux-ci reçoivent un antioxydant (pour éviter le rancissement) comme l’hydroxytoluène de butyl et un émulsifiant type lécithine.

Histoire de la Crème

La crème sur laquelle vont reposer les cerises se fait avec des oeufs, du lait, et même de l’huile.
* Les oeufs proviennent d’un élevage industriel où les poules sont nourries avec des granulés contenant des :

– antioxydants (E300 à E311),

– arômes,

– émulsifiants: alginate de calcium,

– conservateurs : acide formique,

– colorants : capsanthéine,

– agents liants: lignosulfate

– et enfin des appétants : glutamate de sodium, pour qu’elles puissent avaler tout ça.

Elles reçoivent aussi des antibiotiques, bien entendu, et surtout des anticoccidiens. Les oeufs, avant séchage, reçoivent des émulsifiants, des agents actifs de surface comme l’acide cholique et une enzyme pour retirer le sucre du blanc.

* Le lait provient d’un élevage industriel où les vaches reçoivent une alimentation riche en produits chimiques :

– antibiotiques : flavophospholipol (F712) ou monensin-sodium (F714)

– antioxydants : ascorbate de sodium (F301), alphatocophérol de synthèse (F307), buthyl-hydrox-toluène (F321) ou éthoxyquine (E324),

– émulsifiants : alginate de propylène-glycol (F405) ou polyéthylène glycol (F496),

– conservateurs : acide acétique, acide tartrique (E334), acide propionique (F280) et ses drivés (F281 à E284),

– composés azotés chimiques : urée (F801) ou diurédo-isobutane (F803),

– agents liants : stéarate de sodium,

– colorants : F131 ou F142

– et enfin des appétants pour que les vaches puissent manger tout ça, comme le glutamate de sodium.

* Les huiles, quant à elles, ont été :

– extraites par des solvants comme l’acétone,

– puis raffinées par action de l’acide sulfurique,

– puis lavageà chaud,

– neutralisées à la lessive de soude,

– décolorées au bioxyde de chlore ou au bichromate de potassium

– et désodorisées à 160°C avec du chlorure de zinc.

– Enfin, elles ont été recolorées à la curcumine.

La crème de la tarte, une fois fabriquée, reçoit des arômes et des stabilisants comme l’acide alginique (E400).

Histoire des Cerises (complété d’après des éléments de « Aromatherapie » Jean Valnet 1990, Maloine)
Les cerisiers ont reçu pendant la saison entre 10 et 40 traitements de pesticides selon les années.
* Les cerises sont :

– décolorées à l’anhydride sulfureux

– et recolorées de façon uniforme à l’acide carminique ou à l’érythrosine.

– Elles sont plongées dans une saumure contenant du sulfate d’aluminium

– et à la sortie, reçoivent un conservateur comme le sorbate de potassium

(E202).
Elles sont enfin enduites d’un sucre qui provient de betteraves qui, comme
les blés, ont reçu leur bonne dose d’engrais et de pesticides. Ce sucre est
extrait par :

– défécation à la chaux et à l’anhydride sulfureux,

– puis décoloré au sulfoxylate de sodium,

– puis raffiné au norite et à l’alcool isopropylique.

– Il est enfin azuré au bleu anthraquinonique.

Par ces traitements, les cerises ayant donc perdu tout leur goût, il est necessaire d’ajouter un parfum artificiel alimentaire. Ce parfum est une recréation synthetique du goût et de l’odeur à partir d’éléments artificiels issus de la chimie du pétrole aux prix de revient extrêmement faibles- par économie d’echelle – en comparaison du parfum naturel de fruit.

L’exemple developpé est ici la cerise, mais de tels composés servent à recréer aussi bien des parfums artificiels de fraise, d’ananas, de framboise, de miel, de caramel, de muguet..

etc.

* Le parfum artificel de cerise se compose donc des molécules synthetiques (donc à la stéréochimie inversée) suivantes :

– acétate d’ethyle

– acéthyl méthylcarbinol

– butyrate d’isoamyle

– caproate d’ethyle

– caprylate d’isoamyle

– caprate d’ethyle

– butyrate de terpenyle

– geraniol

– butyrate de geranyl – acetylacetate d’ethyle

– heptanoate d’ethyle

– aldéhyde benzoique

– aldéhyde p-toluique

– vanilline

– essence artificielle d’amande amère SAP

– essence artificielle de girofle Bourbon

– essence artificielle de cannelle Ceylan

– essence de lie de vin

Ce texte, consacré à « la tarte aux cerises de supermarché » a été rédigé par Claude Bourguignon, un ingénieur agronome qui travailla à l’INRA, avant de quitter l’honorable maison pour cause de désaccord. Spécialiste de la microbiologie des sols, c’est lui qui démontra, pour la première fois, que les sols cultivés à grand renfort d’engrais chimiques et de pesticides, étaient biologiquement … morts. Tout ce qui fait la vie, et donc la qualité des terres, à savoir les populations microbiennes et fongiques, est détruit par les produits chimiques, conduisant à une perte des nutriments et à l’érosion des sols. Membre de la Société américaine de microbiologie – en France , il n’ y a plus aucune chaire de microbiologie des sols, y compris à l’INRA! – Claude Bourguignon a créé avec sa femme le Laboratoire d’analyse microbiologique des sols, qui intervient dans de nombreux pays, pour aider les agriculteurs à retrouver la fertilité de leurs sols.

Note PAC des Parcs naturels régionaux de France : Réforme de la Politique agricole commune (PAC) 2014-2020 – L’approche territoriale, vecteur d’un développement agricole durable

http://www.cdurable.info/L-approche-territoriale-vecteur-d-un-developpement-agricole-durable,3230.html

Note PAC des Parcs naturels régionaux de France : Réforme de la Politique agricole commune (PAC) 2014-2020 – L’approche territoriale, vecteur d’un développement agricole durable

Cdurable.info, Cyrille Souche, le 3 février 2011

Européen à l’agriculture des propositions relatives à la réforme de la Politique agricole commune dans un document intitulé : « L’approche territoriale, vecteur d’un développement agricole durable ». Dans ce document, la Fédération, qui rassemble un réseau de 46 Parcs naturels en France, part d’un constat qu’elle connaît bien : la diversité de l’agriculture et de ses enjeux sur des territoires marqués par la diminution du nombre d’agriculteurs ; ses nouvelles chartes de Parcs répondant déjà aux grands objectifs de la réforme dans des domaines aussi essentiels que la sécurité alimentaire, la protection des ressources naturelles, la lutte contre le changement climatique, le développement rural et l’emploi. Elle propose donc d’accompagner une agriculture fondée sur la diversité des territoires et des ressources naturelles.

1. Introduction : la réforme de la dernière chance pour une agriculture durable ?

2. L’approche territoriale, gage d’une agriculture plus durable

3. Les Parcs naturels régionaux : une approche territoriale de l’agriculture qui va dans le sens des défis de la réforme de la PAC

4. Un Ier pilier à rapprocher de la dimension territoriale et à rééquilibrer en faveur du second pilier

5. Un second pilier outil d’une approche territoriale combinant les enjeux environnementaux, climatiques et de compétitivité

6. Les 3 options proposées par la Commission ; proposition d’une quatrième voie

7. Conclusion : un retour au bon sens agronomique, enrichi par l’innovation agro-écologique et une approche territoriale

L’agriculture doit en effet être soutenue pour répondre à une demande croissante de qualité des productions et pour développer les pratiques respectueuses de l’environnement. Il en va de même pour la protection et la valorisation des paysages qui vont bien au-delà d’un intérêt touristique évident.

Même si elle évolue dans le bon sens, la Politique agricole commune n’a pas toujours favorisé ces approches. En concentrant les aides sur certaines productions intensives, la PAC a entraîné la spécialisation des productions qui ont eu un impact désastreux sur l’environnement. Pour réussir le tournant environnemental de l’agriculture européenne, la PAC doit s’appuyer sur les ressources des territoires et les projets collectifs qui s’y développent en respectant les spécificités locales, comme le font depuis toujours les Parcs naturels régionaux.

La PAC doit être incitative sur le volet environnemental du premier pilier pour enclencher une évolution vers des pratiques durables qui Lire la suite

Patrick Artus de NATIXIS : « Le pétrole restera cher et même extrêmement cher »

lemonde.fr, propos recueillis par Alain Faujas, le 2 février 2011

http://abonnes.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/ARCHIVES/archives.cgi?ID=ae398500f046d8e8a7b56f79a9922b7357ce80fa473ff2b5

Patrick Artus « Le pétrole restera cher et même extrêmement cher »

Poussé par la crise égyptienne, le baril de Brent a franchi, lundi 31 janvier à Londres, la barre des 100 dollars, au plus haut depuis plus deux ans. Patrick Artus, directeur de la recherche de la banque Natixis, revient sur les raisons et les conséquences de cette hausse.

Pourquoi le prix du baril dépasse-t-il à nouveau les 100 dollars ?

Toutes les matières premières sont en hausse depuis début 2009 et le phénomène s’est accéléré en 2010. Mais les causes ne sont pas les mêmes. Dans les cas des métaux ou des céréales, les banques privées et les fonds d’investissements destinés aux particuliers poussent ceux-ci à y investir.

Dans le cas du pétrole, on ne constate pas de positions financières importantes. En revanche, la demande a progressé en un an de presque 3 %, alors que la production stagne. Il existe bien un spéculateur, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), qui crée la rareté en refusant de suivre la demande. Son argumentaire est le suivant : « Pourquoi voulez-vous que nous extrayions plus de barils pour recevoir en échange un dollar qui se déprécie ? Nous préférons conserver notre pétrole sous terre dans l’attente d’une meilleure rémunération. »

Le baril à 100 dollars est-il une catastrophe pour les pays consommateurs ?

C’est un énorme problème pour les pays développés. Mais la situation est très différente des chocs pétroliers de 1974 et de 1980 : les salaires étaient alors indexés sur l’évolution des prix. Aujourd’hui, les salariés ne bénéficient plus d’un rapport de forces favorable et les profits ont la part belle. Calculons : le déficit en énergie de la zone euro représente 2,5 % du produit intérieur brut (PIB). Imaginons que le pétrole reste à 100 dollars, contre 80 en moyenne en 2010, et que l’euro baisse de 10 % ; rapporté aux 2,5 % de PIB, cela donne 0,75 % de PIB perdu. Affinons encore : quand nous achetons pour 100 euros aux pays pétroliers, nous leur vendons environ 40 euros de biens divers, soit 60 % de déficit. Rapporté au 0,75 % de PIB perdu, ce rattrapage réduit la perte de croissance à un demi-point. Cela fait mal, sauf aux pays exportateurs comme l’Allemagne. Pour les pays en développement, la réalité est tout autre. Ce n’est pas la hausse du prix du pétrole qui les plombe, mais celle de l’alimentation, qui pèse un tiers dans les dépenses des ménages.

Jusqu’où le prix du baril montera-t-il ?

Pour l’heure, ce n’est donc pas une question de ressources, puisque la capacité de production est de 4 millions de barils/jour au-dessus de la demande mondiale de pétrole. En revanche, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et les pétroliers nous annoncent que celle-ci va croître de 1,5 % par an et la capacité de production de 0,4 %. Dans cinq ans, au prix actuel, nous serons en présence d’une insuffisance physique. Nous manquerons de pétrole. Compte tenu de l’élasticité faible de la consommation pétrolière par rapport au prix, soit 0,005, il faudrait que les prix augmentent jusqu’à 200 dollars en 2020 pour susciter les investissements qui permettraient une hausse plus rapide de la production. On peut prédire que le pétrole restera cher et même extrêmement cher.

Peut-on maîtriser les fluctuations des cours des matières premières – dont le pétrole -, comme le souhaite l’Elysée ?

En matière de métaux ou de denrées alimentaires, il serait sage de Lire la suite

Quand le discours politique devient climatologique

Quand le discours politique devient climatologique

Implications-philosophiques.org, Daniel Innerarity, le 3 février 2011

http://www.implications-philosophiques.org/semaines-thematiques/ledition-numerique/quand-le-discours-politique-devient-climatologique/

Réponse de Dominic Desroches à Daniel Innerarity

Résumé – Dans cette réponse à D. Innerarity, l’auteur montre comment le changement climatique, loin d’être à portée scientifique seulement, doit entrer lentement dans le discours politique. Il explique les raisons pour lesquelles le temps actuel, en dépit du fait que l’on parle souvent de la météo, n’est pas encore propice à une telle intégration. Si Innerarity a raison de voir dans les changements climatiques une réhabilitation future de la politique, l’auteur propose de montrer pourquoi.  Il développe l’idée que le bavardage sur la météo et la distance du discours scientifique masquent la montée de la climatologie politique, c’est-à-dire l’étude de la politique se basant sur le temps compris globalement comme horizon temporel, ambiance et climat.

Daniel Innerarity a raison de relever dans son article[1] un changement de statut du discours sur le temps qu’il fait. Avec Sloterdijk[2], on avouera que l’on ne parle plus du temps de la même façon, que ce soit pour meubler nos vides, expliquer la guerre de 1914-1918 ou donner un âge à la Terre. On parle désormais du temps en cherchant des preuves des changements climatiques, non sans manquer de se culpabiliser un peu plus soi-même. À chaque orage, à chaque pluie, au moindre déluge sans arche et autres catastrophes naturelles médiatisées, on panique intérieurement[3] en réalisant le caractère englobant du climat. Les médias globaux ne manquent d’ailleurs pas l’occasion de proposer une nouvelle « vague » sur laquelle, en fans de Noé, on « surfe » volontiers, en attendant peut-être de se noyer tous ensemble dans l’information circulaire. Si l’on sait que la température moyenne du globe se réchauffe et que cela aura des conséquences inédites sur notre mode de vie, nous cultivons un sentiment de responsabilité plus aigu, nous le partageons lors des repas, mais sans changer notre idée du bien commun. Mot de politesse promu au rang d’objet scientifique, le discours sur la météo cherche à nous sensibiliser à un enjeu majeur qui n’existait pas il y a un quart de siècle à peine et qui pose une question bouleversante : l’homme peut-il être, en partie du moins, responsable du temps qu’il fait ? Cette idée a fait sa niche dans les médias, ce qui veut dire qu’elle créera une ambiance, des discours, même un type de gouvernance politique.

Dans ma réponse à Daniel Innerarity, je montre que le changement climatique, qui n’est pas un sujet exclusif de la science, doit entrer dans la politique comme « ambiance ». J’avance des raisons pour lesquelles le temps actuel, en dépit du fait que l’on parle souvent de la météo, n’est pas encore favorable à son intégration dans la politique. Si le penseur espagnol a raison de voir dans l’angoisse environnementale une possibilité de rénovation de la politique, je montrerai, d’une autre façon, pourquoi. Je rappellerai que l’ambiance politique actuelle[4], obsédée par les dégâts de la crise financière de 2008, est sujette à changement, même si on ne le sent pas encore. Ce n’est pas parce que le temps présent est à la Bubble economy et au social Network qu’il ne sera pas bientôt aux biens communs et aux immunisations politiques globales. En résumé, nos usages actuels des termes « temps » et « climat » recouvrent l’émergence de la climatologie politique, qui est l’étude politique appliquée prenant pour objet l’analyse du temps compris globalement comme horizon temporel, ambiance et climat.

« Le climat n’est plus ce qu’il était »

Il convient d’observer d’abord que le titre de l’article rattache le vague passé au présent le plus actuel. Il s’agit pour l’auteur de montrer que ce qui était banal jadis réclame aujourd’hui sa grande part de sérieux[5]. Après avoir pris au sérieux le temps dans le Futur et ses ennemis, il faut faire de même avec le climat. Si l’auteur rapproche la culpabilité de la météo, c’est pour faire sentir le passage du bavardage à l’inquiétude. Le climat s’impose à nous désormais comme l’évidence dangereuse la mieux partagée du monde sans être la plus équitable. Le problème climatique, jusqu’à hier réservé aux savants, mobilise dès lors la conversation quotidienne, ce qui dit en long sur sa grande capacité de pénétration, son impact sur l’imaginaire, mais aussi sur ses implications éthico-politiques. Le climat n’est plus ce qu’il était parce que l’homme agit sur « son » monde  – il est le designer de sa réalité – et qu’il doit faire attention à ce qui est déjà là et qu’il a reçu.

L’homme produit des biens en utilisant les ressources de la Terre et son action favorise un réchauffement qui transforme la culpabilité individuelle en responsabilité commune. Le changement climatique n’est plus une affaire de météo, un running gag, c’est une question qui implique déjà la responsabilité de tous. Le progrès technique, on le sait depuis Jonas, doit se payer en responsabilités élargies dont le mandat est politique : « le climat est aujourd’hui une affaire purement politique » (Hoy el clima es pura política), écrit l’auteur.

De la responsabilité à la justice climatique

Dans ce reformatage de la responsabilité, il faut voir que les riches n’ont pas le même rapport au temps et au climat que les pauvres. En Occident, les plus riches parlent de la météo, mais ne s’en préoccupent guère. La politique se dit verte, mais trouve ses votes du côté des consommateurs. Non seulement les plus fortunés ont-ils les moyens de parler du temps, de s’offrir la climatisation de leurs maisons et de leurs voitures, mais ils ont en outre les moyens de gaspiller, de créer plus de rebuts, ce qui contribue à rendre l’idée du changement climatique triviale. Alors que les pays pauvres seront les plus touchés par le réchauffement, les pays riches ont le luxe de maîtriser les climats des intérieurs et de vivre comme si de rien n’était, en partie « contre » les pays pauvres. Les pays riches tentent de négocier avec les pays pauvres, mais le défi est de taille car l’asymétrie est trop prononcée : les pauvres ont besoin de biens alors que les riches en gaspillent. Cette fuite en avant ressemble à la confiscation du climat par les riches. Nous voilà conduits au seuil d’un problème global, à savoir celui de la justice climatique. Ce problème se résume ainsi : comment partager plus équitablement les effets globaux des variations du climat sur les populations du monde ?

Penser le climat comme une monnaie d’échange…

La réponse n’est pas évidente. Innerarity marque un point lorsqu’il note que notre incapacité à aboutir à un accord politique sur le climat s’explique par le fait que la motivation à changer les comportements s’interprète encore en termes d’incitations économiques (incitación económica). Pour élaborer sa position, il doit toutefois jouer un double jeu : renforcer d’un côté l’opposition entre le climat et le marché, tout en respectant, de l’autre, la capacité d’innovation même des acteurs du marché. On n’avancera pas, écrit-il, en allant contre le marché, non. La solution est ailleurs, mais où ?

Selon l’auteur de La Démocratie sans l’État, penser en termes économiques quelque chose qui n’a rien à voir avec une monnaie d’échange nous empêche de se montrer à la hauteur du défi climatique. L’exemple de la bourse du carbone ou l’achat et l’échange de crédit (de droit) à la pollution n’est pas la meilleure solution à l’exigence de réduire notre consommation. La solution au problème ne serait toutefois pas non plus à trouver dans les contraintes imposées au marché. On ne peut, selon lui, lever le nez sur l’innovation et critiquer sans cesse « la place du marché »[6]. Le marché par contre, redisons-le encore, « n’a pas les outils pour régler un problème de cette ampleur ». Celui-ci, en vérité, le dépasse largement. L’écart entre les prévisions à long terme et la recherche de profits dans les économies financières retarde les ententes et empêche la prise de responsabilité économique et politique.

À qui confier le problème de tous ?

Or, confrontée à un challenge de nature mondiale et globale, la vieille manière de faire de la politique peine à convaincre, car elle a encore besoin du modèle de l’État moderne et des économistes, dont les discours sont souvent contredit par la réalité. L’État moderne hiérarchique atteint sur la gestion du climat son seuil d’incompétence, tout comme l’économie néolibérale. Se référant à la crise financière, Innerarity soulève une question que personne n’entend poser : « comment confier logiquement la recherche de solutions à ceux qui contribuent à créer le problème ? » En demandant la solution du problème à ceux qui le produisent, l’air demeure le même, les discours restent les mêmes et nous perdons l’espoir de trouver des alternatives. On s’intoxique, on respire en marchant à reculons, bref : on masque l’enjeu de la future climatologie politique.

Sur la globalisation et la notion de bien commun

Une des clefs de la réflexion d’Innerarity réside dans son usage du concept de bien commun. Si ce concept a pour vocation de demeurer ambigu (qui peut dire en effet ce qu’est ce bien « commun » ?) et qu’il fait appel à des discussions exigeantes pour son opérationnalité (il n’est jamais la somme des intérêts de tous), cela en fait, dit-il, l’une des tâches politiques par excellence. Et si beaucoup errent en considérant que la notion n’est plus pertinente pour les sociétés pluralistes aux prises avec des procédures complexes, l’argument ne doit pas nous faire oublier que ce qui distingue une société politique d’un simple agrégat d’individus isolés, c’est justement la reconnaissance de biens communs, les opportunités et les risques partagés[7].

Pour Innerarity, le bien commun relève de ce que l’on nomme externalité. Il entend par ce terme un bien dont la consommation ou la production en affecte d’autres, sans que cela puisse être perçu par le marché. Les intérêts du marché peuvent différer des intérêts de la société dans laquelle il se trouve. Si le marché est en mesure de prévoir les risques à court terme de ses opérations et de ses productions, il ne peut cependant voir ni anticiper les risques significatifs qui peuvent apparaître dans le moyen et le « long terme » d’une société complexe. Le bien commun engage dès lors une réflexion éthique sur les génération futures. Ainsi définie, la catégorie de bien commun peut rejoindre le climat car celui-ci, comme externalité, ne peut être livré aux seules forces de l’économie de marché car il le détruira. Devenant un exemple de bien commun, le climat peut exiger une attention relevant désormais de la gouvernance globale.

Je suis persuadé que Daniel Innerarity ne refuserait pas de considérer le climat naturel, dans le cadre de défis globaux, comme un bien commun, mais entendu cette fois comme une « zone à protéger » par des efforts politiques. Une des raison de cet élargissement est d’abord humaine : on verra la protection du climat (modifiable par l’homme) comme un « bien commun » parce que son contraire entraînera l’augmentation des migrants climatiques ou réfugiés environnementaux. Mais là n’est pas pour moi ce qui est le plus important.

Du réchauffement au design d’atmosphère

Pour faire du climat un bien commun, je prendrai une tout autre direction. Je m’intéresserai au climat dans la mesure précisément où il permet d’envisager l’idée du design d’atmosphère[8]. S’il est vrai en effet que l’on ne peut s’opposer au marché, c’est aussi parce que les échanges humains dépendent du temps qu’il fait. Il y a en vérité toujours un climat général derrière le marché, derrière nos actions individuelles et collectives, une ambiance qui nous déborde et nous conditionne, c’est-à-dire que le climat au sens large, plus précisément la météo, influence l’humeur des échanges humains[9]. Nous dépendons plus du temps, du climat général et d’une ambiance « englobante » que nous voulons bien l’imaginer d’ordinaire. Les hommes ont construit des maisons, des villes et des climats culturels politiques, ils ont découvert les continents sous le ciel vouté et ils ont marché sur la lune – ils ont veillé à leurs conditions immunitaires à partir de cultures qui se développent dans la fabrications de climats respirables.

Or nous connaissons désormais un phénomène inédit dans notre recherche immunitaire. Depuis les années 1970, les climats culturels se sont « universalisés » – la terre est ronde – sous l’effet des médias globaux et nous partageons, tous ensemble, un « air du temps ». C’est l’air du temps qui nous fournit le contexte de nos idées, le cadre de nos actions ainsi que nos rêves.

Attention à la climatologie politique…

Pour saisir les difficultés politiques à s’entendre sur les mesures à prendre pour contrer la crise climatique, il faut sentir l’air du temps, c’est-à-dire le courant qui donne le contexte et le sens de nos actions passées et actuelles. Il faut passer, autrement dit, du paradigme physique du climat, des changements climatiques, au climat compris comme « atmosphère générale de la culture des hommes ». Cette atmosphère générale, cet air politique que nous respirons tous ensemble sur la planète, est le cœur de ce qu’il convient d’appeler  la « climatologie politique ».

L’enjeu derrière les changements climatiques n’est donc pas au premier chef physique (géothermique ou géographique), mais il se trouve dans la configuration de l’atmosphère dans lequel les hommes désirent vivre eux-mêmes. Le fait que l’on désire construire un hôpital neuf sur le site de l’ancien sous prétexte que celui-là ne pourrait résister à un séisme n’a rien à voir avec la montée de la climatologie politique, pas plus que la construction de digues ou de murs pour contrer les tsunamis à venir. Le défi principal réside dans la tentative de contrôle des effets dévastateurs produits par les sentiments de peur et de panique relayés dans les espaces émotionnels médiatiques qui sont les nôtres aujourd’hui[10].

Faisons un pas de plus. Contre le bavardage sur le temps qu’il fait et une science qui objective sans cesse les changements climatiques, contre ces discours qui recouvrent l’idée phare que l’homme est son temps, il convient de voir que c’est le climat de l’homme qui est appelé à évoluer. On peut mesurer cette évolution en étudiant la puissance de diffusion dans les nouveaux espaces émotionnels médiatiques. L’espace public qui servira de scène mondiale pour les discussions sur le climat se trouve déjà dans notre espace émotionnel mondialisé. L’intérêt de la climatologie politique, c’est donc d’établir clairement que l’air du temps détermine davantage les modes, les discours et les politiques que les réunions à portes fermées du G8 ou du G20. Cette climatologie spéciale entrera en jeu quand la réflexion s’intéressera au climat politique général donnant un sens aux discours officiels, lorsque l’on s’apercevra que c’est avant tout l’ambiance générale qui explique la gouvernance et les choix politiques.

Sur l’ambiance, la souffrance et l’air du temps

La pensée du climat se traduit dans l’ambiance. C’est à cette ambiance locale et générale, aux micro-climats et aux macro-climats, qu’il faut porter attention si l’on veut expliquer les difficultés actuelles. On comprendra mieux l’argumentaire de Daniel Innerarity en observant que le problème n’est d’abord pas dans une économie qui procèderait à une mauvaise lecture du réel, mais plutôt dans le fait que le « temps » n’est pas encore au changement climatique. Le macro-climat produit par les médias n’envisage pas de changements majeurs. Autrement dit, la panique n’est pas encore ressentie, peut-être seulement par les plus sensibles, d’où l’idée que le « temps du changement » de comportement approche trop lentement au goût de certains. Les plus sensibles souffrent dans le désarroi – ils anticipent, ils connaissent l’angoisse -, car ils sentent le changement du temps, ils vont à contre-temps en n’acceptant plus de vivre dans l’ambiance mortifère et consumériste. On en conclura, de façon curieuse peut-être, que c’est dans l’air du temps qu’il faut penser le problème inédit des changements climatiques. Il importe que le temps, interprété comme ambiance d’abord, relevant d’une climatologie plus large ensuite, fasse son entrée dans le discours politique, qui est présentement mobilisé surtout par la rhétorique de l’économie néolibérale. La politique connaîtra un temps de rénovation, Innerarity a raison, si elle accepte d’avoir à faire avec le temps comme possibilité de changement, c’est-à-dire si elle voit le futur compris comme un climat à partager[11].

De la difficulté de « sentir » à la hauteur du global

On dira donc qu’une partie du problème de l’inaction face aux changements climatiques est à trouver dans le fait que le monde actuel vibre encore dans le temps de l’argent, du confort immédiat et des échanges. Les vents dominants du climat mondial sont tournés vers les affaires. On interprète encore le temps comme de l’argent, même après la crise financière, au lieu de le comprendre comme un climat général à partager. Le modèle économique en vigueur, loin de favoriser la responsabilité commune et la nécessaire coopération, valorise la concurrence, les privilèges, les exceptions. S’il existe un climat des affaires, qui nous trompe par sa normalité, ce climat des affaires carbure aux profits immédiats et se conçoit dans un présentisme qui nous masque l’émergence de la nouvelle  réalité climatique.

Dans le contexte actuel de l’avidité illimitée en période d’épuisement des ressources naturelles, la politique est incapable d’imposer des contraintes parce qu’elle se situe encore dans la conception du temps valorisé par le marché. Elle joue aussi les États les uns contre les autres dans une logique territoriale au lieu de les intégrer dans une gouvernance commune. Mais cela changera. Cela changera par la force du temps qui est la force des choses.

Pour affronter sérieusement la question climatique, on admettra que nous naviguons tous vers un nouveau temps politique – nous sommes tous dans le « même bateau », sujets au naufrage avec spectateurs – une ère de grande sensibilité qui devra faire du climat un bien commun. En accord avec Daniel Innerarity, je pense qu’il faut éviter les pièges de l’impatience et du découragement. Il faut saisir les raisons qui expliquent pourquoi nous continuons de croire que l’économie tous azimuts règlera nos problèmes alors que cela ne sera pas le cas. Peut-être faut-il formuler une nouvelle utopie rationnelle prenant pour toile de fond le climat afin de repenser notre situation globale et mettre le cap sur un modèle souple de coopération[12].

Nous envisagerons alors un autre temps pour lequel la technique du climat et la fabrication d’atmosphères respirables constitueront notre politique. Le temps aura alors changé, comme nos vieilles habitudes. À ce moment-là, lorsque nous regarderons le monde avec hauteur, nous verrons bien que le changement dans la culture du marché s’est opéré, que l’air du temps a changé imperceptiblement et que le discours politique est devenu climatologique.

Dominic Desroches

Département de philosophie

Collège Ahuntsic / Montréal

dominic.desroches@collegeahuntsic.qc.ca

[1] Je réponds et commente ici l’article intitulé « El clima ya no es lo que era » paru dans El País, 30/ 11/2010.  

[2] Sloterdijk, P., Schaume – Sphären III, Suhrkamp, Frankfurt am Main, 2003.

[3] Voir notre étude de la panique relative à l’élément liquide dans La gestion du risque confrontée à l’accélération – De l’inattendu au climat d’urgence et au temps panique, Orkestra, Espagne, déc. 2010 (à paraître).

[4] Je développe en terme d’ambiance générale l’intuition de Paul Virilio voulant que le monde se trouve, par les médias, dans une « communauté d’émotions ». Daniel Innerarity avait pour sa part proposé l’idée d’« espace émotionnel ». Voir El nuevo espacio público, Espasa, Madrid, 2006. Je poursuis leurs efforts ici.

[5] La formule rhétorique « une chose n’est plus ce qu’elle était » est souvent utilisée par l’auteur. Elle engage une manière d’être dans le monde : les choses les plus simples, les plus évidentes du quotidien changent, comme la politique, la société, au même titre que les remarques sur le temps qu’il fait. Ce qui semble relever du propos le plus banal engage une interprétation neuve de la société complexe, opaque et invisible dans laquelle nous vivons. Ce qui est là, dans son imperceptibilité, requiert notre attention, notre réception, car il concerne notre avenir.

[6] Sur la question du marché, voir notre entretien publié sous le titre « La place du marché et la mondialisation » sur le site de la revue Sens Public – Revue web internationale, Cosmopolitique, 2/10/10.

[7] À titre indicatif, je signale que Innerarity a consacré un chapitre fort instructif à la « grammaire des biens communs » dans son livre El nuevo espacio público, Espasa, Madrid, 2006.

[8] Sur l’usage de cette notion par Sloterdijk, voir notre petit article « L’homme comme designer d’atmosphère. Sloterdijk et la critique des milieux métaphysiques », Transverse, numéro 1, France, déc. 2010, 35-47.

[9] Sur le rapport fécond entre la météo et l’histoire des hommes, voir Lee, L., Et s’il avait fait beau ? – De l’influence de la météo sur les grands événements de l’histoire, Acropole, 2007.

[10] Sur la peur et la panique, voir les travaux de Dupuy, J.-P., Le catastrophisme éclairé, Paris, Seuil, 2002, La panique, Seuil, 2003 et Petite métaphysique des tsunamis, Seuil, 2005. Aussi, Virilio, P., L’administration de la peur, 2010 et Innerarity, D., « El miedo global », in El País, 19/09/2010.

[11] « Il se pourrait que la politique de l’environnement, concluait Daniel Innerarity, outre le fait qu’elle enrichit nos conversations quotidiennes, contribue à une rénovation de la politique, dont nous savons qu’elle est nécessaire mais qu’aucune force irrésistible ne nous oblige à la mettre en œuvre. »

[12] Sur le thème de la coopération, voir les remarques éclairantes que Daniel Innerarity propose dans le chapitre 10 de son livre El nuevo espacio público, Espasa, Madrid, 2006.

La « démocratie écologique » de Dominique Bourg n’est pas la solution

alternatives-ecologique.fr, Jean Gadrey, le 18 janvier 2011

La « démocratie écologique » de Dominique Bourg n’est pas la solution

http://www.alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2011/01/18/la-%C2%AB-democratie-ecologique-%C2%BB-de-dominique-bourg-n%E2%80%99est-pas-la-solution/

Un débat existe sur la démocratie écologique (et plus généralement sur la démocratie scientifique). Il serait dommage de le caricaturer, comme c’est le cas avec certaines critiques des thèses de Dominique Bourg. Deux livres récents et importants peuvent l’éclairer. D’une part celui d’Hervé Kempf, « L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie » (Seuil). D’autre part celui de Jacques Testart, Agnès Sinaï et Catherine Bourgain, « Labo planète, ou comment 2030 se prépare sans les citoyens » (Mille et une nuits).

Les idées de Dominique Bourg sont explicitées dans un article qu’il a publié avec Kerry Whiteside dans « La vie des idées » le 1° septembre 2009. Il est accessible via ce lien. Ceux qui y voient une « dictature écologique » (voir ce lien) exagèrent beaucoup. D. Bourg ne propose nullement d’abolir le système actuel mais de l’enrichir, il met en avant le rôle de la société civile et des ONG, le rôle de la démocratie « participative et délibérative » venant compléter la démocratie dite représentative.

J’ai toutefois un sérieux problème avec une partie de ces thèses où est affirmée une sorte d’impuissance des citoyens à prendre en charge les grands enjeux écologiques à long terme, enjeux qui ne pourraient être défendus que par l’alliance de scientifiques et d’ONG environnementales.

Cela conduit D. Bourg à préconiser de nouveaux arrangements institutionnels pour surmonter ce qu’il désigne comme une incapacité du système de la « démocratie » actuelle « à répondre au défi environnemental ». Avec la création 1) d’une « académie du futur » composée de « chercheurs internationalement reconnus » ayant pour mission de veiller à l’état de la planète, et 2) d’un nouveau Sénat. Ce dernier, « formé pour deux tiers au moins de personnalités qualifiées – proposées, par exemple, par les organisations non gouvernementales environnementales – et pour un tiers de citoyens, aurait pour rôle d’élaborer, en amont de l’Assemblée nationale, les grands mécanismes législatifs, par exemple fiscaux, permettant de répondre aux nouveaux objectifs constitutionnels. Ce Sénat pourrait, avec l’aval de conférences de citoyens, opposer son veto aux propositions de loi contraires à ces objectifs. » (Le Monde du 31 octobre 2010).

Je retiens évidemment de l’analyse de D. Bourg le fait que, dans le système de la démocratie et de l’information TEL QU’IL FONCTIONNE – très mal, comme le démontre Hervé Kempf – nombre de risques vitaux pour l’humanité, dont le réchauffement climatique, ne sont pas « ressentis » avec la même acuité et la même urgence que, par exemple, le chômage ou la pauvreté. Je constate aussi que les principales alertes écologiques proviennent de l’alliance de scientifiques (par exemple le GIEC) et d’ONG écolos.

Mais on pourrait faire le même constat de mise à l’écart des citoyens pour d’autres enjeux non écologiques au départ mais essentiels, y compris à long terme : les retraites, la construction européenne, la reprise en main de la finance, les dettes publiques, la création monétaire et les investissements du futur, etc.

L’information déversée sur les citoyens par l’alliance terrible des grands médias, de l’argent et de la publicité bloque la démocratie et conforte l’oligarchie. Elle a pour but Lire la suite