Jean Ziegler : Le massacre de la faim se déroule dans une normalité glacée – Des crises ou une crise planétaire ?

humanité.fr, propos recueillis par J. S., février 2011

http://www.humanite.fr/04_02_2011-%C2%AB-le-massacre-de-la-faim-se-d%C3%A9roule-dans-une-normalit%C3%A9-glac%C3%A9e-%C2%BB-464377

« Le massacre de la faim se déroule dans une normalité glacée »

Par Jean Ziegler, membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (*).

Des crises ou une crise planétaire ?

Dans la crise planétaire où se croisent plusieurs crises, la crise alimentaire est singulière. Parmi tous les droits humains, le droit à l’alimentation est celui qui est le plus cyniquement, le plus brutalement violé aujourd’hui. Toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Près d’un milliard d’êtres humains sont gravement sous-alimentés. La courbe des victimes dépasse celle de la croissance démographique. Selon la FAO, l’agriculture mondiale pourrait nourrir sans problème 12 milliards d’êtres humains, or nous sommes 6,7 milliards sur la planète. Un enfant qui meurt de faim est donc un enfant assassiné.

Quelles sont les causes de cette crise ? Pour la population rurale, celle qui produit sa nourriture (3,2 milliards de personnes), plusieurs raisons structurelles sont identifiables. D’abord, le dumping agricole. Les pays de l’OCDE ont versé, l’an dernier, 345 milliards de dollars de subventions pour leurs productions et exportations agricoles, ce qui fait que, sur n’importe quel marché africain, on achète des légumes grecs, français, portugais, allemands pour le tiers ou la moitié du prix du produit africain correspondant. Pendant ce temps, le paysan africain, sa femme et ses enfants s’épuisent au travail sans la moindre chance d’atteindre le minimum vital convenable. L’hypocrisie des commissaires de Bruxelles est abyssale. Ils organisent la faim sur le continent africain et déploient des forces militaires pour intercepter les survivants qui essaient de passer les frontières sud de l’Europe.

La deuxième raison est la vente de terres. L’an dernier, 41 millions d’hectares de terres arables africaines ont été achetés ou louées pour 99 ans par les hedge funds ou par des pays comme la Corée du Sud. La Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement, etc, financent ce vol en arguant que seuls des groupes financiers sont capables de rendre ces terres réellement productives. Les familles d’agriculteurs dépossédées vont alors grossir les bidonvilles avec les conséquences qu’on connaît : prostitution enfantine, sous-alimentation, etc.

Troisième raison : la dette extérieure. Au 31 décembre 2009, celle des 122 pays dits du « tiers-monde », était de 2 100 milliards de dollars. La presque totalité de leurs gains à l’exportation est donc absorbée par les intérêts de la dette.

Quant aux populations urbaines, selon la Banque mondiale, 2,2 milliards de personnes vivent avec 1,25 dollar par jour, en dessous du seuil d’extrême pauvreté. Les prix des trois aliments de base – riz, maïs, blé – ont explosé. La tonne de blé meunier a doublé en un an – le prix de la baguette, multiplié par trois, a été un facteur essentiel dans la formidable révolution tunisienne. On peut expliquer ces augmentations de prix en partie par les catastrophes climatiques qui ont touché de gros producteurs (Russie, Australie). Mais les deux raisons principales sont la spéculation boursière et le développement des agrocarburants. Avec la crise financière, les spéculateurs se sont reportés sur les matières premières agricoles ; 37 % de la hausse sont dus à la spéculation. Quant aux agrocarburants, les Américains ont subventionné, l’an dernier, la transformation de 144 millions de tonnes de maïs et de centaines de millions de tonnes de blé en biodiesel et bioéthanol. Barack Obama a confirmé cette orientation afin, a-t-il expliqué, de combattre la pollution et de garantir l’indépendance pétrolière des États-Unis. Cela peut se comprendre. Mais lorsque toutes les cinq secondes, un enfant meurt de faim, brûler de la nourriture sous forme d’agrocarburants est un crime contre l’humanité.

Le 22 octobre 2010, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy annonçaient 1 700 milliards d’euros d’aide aux banques. Pendant ce temps, le budget du Programme alimentaire mondial s’est effondré de 6 milliards de dollars à 3,2 milliards parce que les pays industrialisés ne payent plus leurs cotisations. Et dans les camps de réfugiés du Darfour ou de Somalie, les rations journalières ne sont plus que de 1 500 calories, quand le minimum vital est 2 200 calories par individu.

La France, les pays européens sont des démocraties. Si nous nous organisons, nous pouvons imposer aux commissaires de Bruxelles de mettre fin au dumping agricole. Nous pouvons, avec de nouvelles lois nationales, interdire la spéculation sur les aliments de base et la fabrication d’agrocarburants autrement qu’avec des déchets agricoles. Nous pouvons réduire radicalement la dette extérieure des 52 pays les plus pauvres. Nous le pouvons. En démocratie, il n’y a pas d’impuissance.

(*) Dernier livre, la Haine de l’Occident. 
Édition le Livre de poche, 6,95 euros.

2 Réponses

  1. Bonjour, à un détail près selon Etienne Chouard, c’est que nous ne sommes pas en démocratie.

  2. le changement climatique est notre opportunité à isoler et à assécher la domination des pétroliers, de leurs guerres, de leurs calculs asservissants envers les autres civilisations plus démocratiques.

    en effet, nous n’aurons plus autant besoin d’eux pour nous chauffer, nos modes de vies vont nous mettre moins dépendants d’eux. C’est pour cela que nous de devons profiter de cet espace de liberté énergétique pour nous installer dans une ou des politiques énergétiques locales, innovantes, simples et rapides à construire.

    installer très vite des laboratoires innovants, dans nos régions, écouter les « petites  » initiatives des gens qui savent faire, mais que les gouvernements soumis aux cupidités internationales ont refusé de voir , de prendre en compte, car trop loin de leur nez.
    Développer très vite, prendre de court, et installer de nouvelles racines. Pouvoir leur faire comprendre qu’ils sont hors circuit.

    ainsi redonner du bien être et de l’espérance à toutes les régions du monde, en leur montrant que c’est possible de retrouver du lien avec notre planète, qu’on nous a enlevée, violée, vendue et exposée comme un objet de plaisir, une poule aux oeux d’or.

    les pétroliers savent qu’ils sont amenés à vendre moins de pétrole. Ceci les énerve, ils entretiennent des guerres pour se sentir puissants. Ils frappent les pays en voie de développement en leurs vendant des armes pour empêcher ces pays de se développer harmonieusement; la plupart du temps, ces pays vivraient en autosuffisance, en poursuivant tranquillement leur destin évolutif.
    La nature leur offrant tout ce dont ils ont besoin, pour la simple et bonne raison, que les êtres vivant prennent racine tout simplement dans les lieux favorables à la Vie.

    Donc, Alternativa, reste vigilante, libre, éclairée, active et combattante.
    Généreuse, et clairvoyante. Pleine d’humour et prête à des sacrifices; Tu risques d’être aussi séduite par des anciennes formes de facilité, des gens opportunistes qui voudront qu’une chose, leur gloire, donc retarder l’installation humaniste sociale.

Laisser un commentaire