Le mouvement des objecteurs de croissance (MOC) : Masse critique et suffisance

les-oc.info, Michel Lepesant, le 5 décembre 2010

http://www.les-oc.info/2010/12/masse-critique-et-suffisance/

Masse critique et suffisance

Au cœur de la pratique politique du Mouvement des objecteurs de croissance (le MOC), se trouve la notion de « masse critique ». Dans cette manière de Penser et Faire la transition, sont en jeu : les expérimentations sociales, les alternatives concrètes, les rapports avec les autres partis/mouvements de la gauche anti-productiviste et anti-capitaliste, avec les décroissants, avec les mouvements sociaux. Cette expression ne doit pas être une « formule magique » et certaines confusions doivent être rapidement levées[1] : surtout ne pas réduire cette « masse critique » à une accumulation comptable de « vrais gens » dépolitisés !

La masse critique, c’est qui ?

La masse critique, c’est combien ?

La masse critique, c’est comment ?

La masse critique, c’est quand ? C’est « sans attendre, sans illusion ».

Il serait tellement plus simple de croire encore à la Révolution, celle du Grand soir, celle du prolétariat (comme sujet de la révolution). Les militants seraient encore l’avant-garde éclairée et éclairante, l’avenir serait écrit d’avance et garantirait sans aucun risque de scepticisme ou de pessimisme le sens de nos actions et de nos engagements !

Las, les objecteurs de croissance dénoncent déjà les illusions et les religions que le capitalisme – à chacune de ses phases – ne cesse d’utiliser à des fins de propagande pour modeler nos vies : le scientisme, la technologie, le mythe du progrès, la représentation… Il leur faut aussi ajouter à cette déjà longue liste une nouvelle croyance à rejeter : celle que la prise du pouvoir institutionnel est la condition préalable de toute transformation sociale et politique.

Croyance que partagent les capitalistes comme leurs adversaires socialistes, les sociaux-démocrates de la réforme comme les socialistes marxistes de la révolution, les adversaires trotskistes des léninistes comme les critiques anarchistes des trotskistes, etc. Manière pour les décroissants, quand ils assument d’entrer en politique de se mettre à dos à peu près tout le monde et ainsi de se sentir « décalés » dans presque tous les lieux traditionnels de militance.

Est-ce à dire alors que les décroissants doivent rejeter toute politique et ne plus continuer à poser la question du pouvoir ? Certainement pas mais la piste est escarpée, toujours menacée de glisser soit dans la pente du renoncement et du pragmatisme, soit dans la pente de la caricature et de la simplification. Comment agir politiquement sur la crête ?

La masse critique, c’est qui ?

Il serait tellement plus simple de croire qu’il existe une classe particulière porteuse du Lire la suite

Paul Ariès : « Les décroissants ne sont pas des talibans verts »

Paul Ariès : « Les décroissants ne sont pas des talibans verts »

rue89.com, Pierre Haski, le 19septembre 2010

http://www.rue89.com/entretien/2010/09/19/paul-aries-les-decroissants-ne-sont-pas-des-talibans-verts-167289

Paul Ariès est considéré par beaucoup comme un « gourou ». L’idéologue de la décroissance a longtemps prêché dans le désert, mais la crise a donné à son discours un nouvel écho, qui lui vaut d’être invité à débattre par Europe écologie, ou de faire une (modeste) apparition sur les plateaux de télévision. Rue89 l’a interrogé sur sa vision, et sa stratégie, notamment en vue d’une possible candidature « décroissante » en 2012.

Longtemps spécialiste des sectes contre lesquelles il s’est fortement engagé, puis parti en guerre contre la malbouffe comme symbole de la mondialisation, le politologue et écrivain Paul Ariès est aujourd’hui la figure la plus en vue du courant, très divers, de la décroissance.

Ultra-minoritaire dans un pays où la quasi totalité des partis politiques fondent leurs hypothèses sur un retour de la croissance, ce courant a longtemps été associé à l’idée d’une régression, d’un retour à la bougie et au puits, avant de commencer à entrer dans le champs du débat politique, notamment au sein des écologistes divisés sur la question comme l’ont montré les Journées d’été Verts-Europe écologie de Nantes.

Paul Ariès reconnaît que la décroissance a longtemps été négative avant de commencer à devenir une force de proposition. Dans cet entretien, réalisé en complément du dossier du numéro 3 de Rue89 Le Mensuel, titré « et si la croissance ne revenait plus ? », « l’objecteur de croissance », comme il se définit, évoque l’hypothèse, non encore tranchée, d’une candidature à la présidentielle de 2012 pour avancer ses idées. Entretien.

Rue89 : Votre cible est autant la gauche que le système capitaliste ?

Paul Ariès : Il y a deux systèmes qui, par-delà leurs différences qui sont énormes, ont totalement pillé la planète pour nourrir leur machine productiviste. Sauf que ces deux systèmes ne se trouvent pas aujourd’hui dans la même situation.

Les droites, les milieux d’affaires, ont un vrai projet, qui est celui du capitalisme vert. Alors que les gauches, à l’échelle internationale, restent largement aphones. Parce qu’elles ne savent pas comment concilier ces nouvelles contraintes environnementales, avec le souci de justice sociale, et le besoin de reconnaissance face à une société du mépris.

Mais il y a toujours eu deux gauches. L’une antiproductiviste, d’un antiproductivisme populaire spontané, celui des paysans qui pendant un siècle et demi ont combattu contre le passage de la faucille à la faux pour préserver le droit de glanage, un certain mode de vie ; celui de ces ouvriers cassant les usines qui prenaient leur place ; celui du « Droit à la paresse » de Paul Lafargue, c’est ce mouvement historique pour la réduction du temps de travail. Cette gauche a toujours été minoritaire, et surtout, elle a été ridiculisée, moquée.

Et on a toujours eu une gauche productiviste, qui avait foi dans le progrès. Sauf que cette gauche productiviste, qui a été dominante au XXe siècle, a aujourd’hui du plomb dans l’aile. Elle ne peut plus promettre que demain on vivra tous comme des petits bourgeois, que demain sera le pays de Cocagne.

Donc ça crée des possibilités, je l’espère, c’est un pari, de créer aujourd’hui une gauche antiproductiviste qui devienne optimiste.

« Etre des empêcheurs de développer en rond »

Pourquoi avoir fait de Daniel Cohn-Bendit le symbole de ce que vous combattez, en le qualifiant d’« idiot utile du capitalisme vert » ?

Ce qui m’intéressait dans Cohn-Bendit [« Cohn-Bendit, l’imposture », par Paul Ariès et Florence Leray, éd. Milo, ndlr], ce n’est pas la personne mais de quoi il est le symptôme. Le succès électoral d’Europe écologie repose sur des bases idéologiques pas claires. Si les gens ont voté Cohn-Bendit en pensant sauver la gauche et pour sauver une écologie politique antiproductiviste, ils ont été abusés. On voit bien qu’aujourd’hui Europe écologie est à la croisée des chemins. Tout comme la gauche.

Il va falloir choisir entre Corinne Lepage et l’objection de croissance. Il y a des positionnements politiques qui doivent se faire. Ces divisions, qui sont bien réelles à l’intérieur du mouvement, sont effectivement masquées par les succès électoraux.

Ce qui est urgent, c’est une recomposition véritable d’une gauche antiproductiviste. Je travaille avec d’autres au rapprochement des écologistes antilibéraux -ce qui exclue fondamentalement CohnBendit ou Lepage- et des gauches antiproductivistes.

Je ne dis surtout pas que c’est autour de la décroissance que les choses vont se faire. Nous ne sommes pas la petite grenouille qui a vocation à devenir aussi grosse que le bœuf. Notre fonction, c’est d’être des empêcheurs de développer en rond. C’est de poser des questions à l’ensemble des forces politiques, avec l’espoir qu’effectivement on arrive à faire que les minorités qui portent ces idées arrivent à converger.

« Nous marquons le retour des “partageux” »

Votre discours est-il audible auprès des gens qui manifestent pour maintenir la retraite à 60 ans ?

D’abord il me semble que les premiers qui ont à gagner à la décroissance, ce sont les plus pauvres. Pas seulement parce que ce que nous voulons avant tout c’est la décroissance des inégalités sociales, mais aussi parce que le style de vie, qui est tout à fait à distinguer de la notion de pouvoir d’achat, correspond effectivement à des styles de vie populaires.

Avec la revue Le Sarkophage, nous avons organisé l’an dernier notre premier grand colloque sur le thème « Ralentir la ville pour la rendre aux plus pauvres ». Des projets comme Slow Food, ou le Réseau international des villes lentes, posent les bonnes questions. Et notre deuxième colloque, dans l’Essonne en novembre, sera sur le thème de la gratuité des services publics locaux, là encore avec cette visée sociale.

Comme on sait que le gâteau -le PIB- ne peut plus grossir, la grande question devient celle du partage. Nous marquons le retour des « partageux ».

« Passer du socialisme du nécessaire à un socialisme gourmand »

Par rapport à la question des retraites, la décroissance, si elle devait être appliquée, ne créerait pas effectivement des ressources, d’où la nécessité de déplacer le débat.

La question des retraites pose aujourd’hui la question des revenus garantis. On justifie les écarts de revenus, au moment de l’activité des salariés, par la nécessité de rémunérer les compétences et de ne pas faire fuir les plus performants. Ce discours ne tient plus quand on parle à des gens qui deviennent inactifs.

De la même manière qu’il faut rendre aux anciens toute leur place dans la société, parce qu’ils sont les meilleurs représentants de la lenteur, nous pensons que les anciens peuvent être le vecteur de ce combat pour le revenu garanti.

Je me reconnais pleinement dans le mouvement lancé par d’anciens résistants autour de la republication du programme du Conseil national de la résistance, »Les Jours heureux ». Au moment où la France était ruinée, à genoux sur le plan économique et industriel, on a su trouver effectivement les moyens financiers pour permettre cette solidarité avec la Sécurité sociale. Aujourd’hui, avec une France beaucoup plus riche, on voudrait casser cette Sécurité sociale. Il nous semble possible de rénover, d’approfondir les services publics.

Ce qui est urgent, c’est de passer du socialisme du nécessaire à un socialisme gourmand. Il faut en finir avec cette idée de génération sacrifiée, de lendemains qui chantent, c’est dès maintenant qu’il faut construire une société totalement différente.

Nous avons besoin, dans le cadre de la société capitaliste, de pouvoir faire sécession, c’est-à-dire de reconstruire des façons d’être. On a su le faire au XIXe siècle, et même au début du XXe, avec ce qu’on a appelé le « socialisme municipal ». On a su avoir une gauche qui était une contre-société qui reposait sur des valeurs, sur des façons d’être, qui n’étaient pas celles du mode dominant.

« La décroissance, une politique des petits pas »

Peut-on pratiquer la décroissance dans un seul pays ? Ne risque-t-on pas de se retrouver avec la décroissance au Nord, et la croissance au Sud ?

C’est un vrai débat. Mais les questions que pose la décroissance ne sont pas réservées à la France ou aux pays riches. Elles sont abordées en Afrique, de façon massive en Amérique latine, et moins en Asie. Le mouvement de la décroissance n’est pas séparable de ce qu’a pu être le mouvement des paysans sans terre ou de Via Campesina. Les questions que nous posons, avec notre vocabulaire spécifique, appartiennent aux plus humbles.

La décroissance, ce n’est pas l’annonce du Grand Soir, c’est exactement l’inverse. La décroissance, c’est aussi une politique des petits pas, comme celui qu’ont fait des communes de l’Essonne qui ont décidé de donner gratuitement une quantité d’eau à tous leurs administrés.

Donc vous pouvez avoir une période de cohabitation entre croissance et décroissance ?

Bien sûr, l’enjeu c’est de créer des dynamiques de rupture. Bien sûr qu’il faut en finir avec le capitalisme, mais à nos yeux ça ne suffit pas. Parce que le pétrole socialiste n’est pas plus écolo que le pétrole capitaliste, ou le nucléaire socialiste ne serait pas plus autogérable. Nous sommes à la fois anticapitalistes et antiproductivistes.

Il faut penser la transition, ça ne se fera pas d’un coup. Cette politique des petits pas, qui n’oppose pas chaque petit pas avec l’objectif final, est la seule possible. C’est aussi la seule démarche possible pour rendre le projet désirable.

Par où commencez-vous ?

Nous avons décidé de nous battre d’ici 2012 sur quatre grands mots d’ordre d’égale importance :

la question du ralentissement, car on sait depuis les travaux de Paul Virilio que toute accélération de la société se fait au détriment des plus faibles ;

la relocalisation, ce qui peut poser la question d’une fiscalité adaptée, voire la création de monnaies régionales ;

la question de la simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance ;

la question du partage, c’est-à-dire la question du revenu garanti couplé à nos yeux à un revenu maximal autorisé.

Ce revenu garanti est l’une des manières que nous avons de réduire la part de l’économie dans nos sociétés. Il doit être attribué en partie en monnaie nationale, l’euro, en partie en monnaie régionale à inventer, et en partie en droits de tirage sur les biens communs (tant de Kw/heure gratuits, tant de mètres cubes d’eau gratuits, de transports en commun urbains gratuits…). Le fait de raisonner en terme d’usage et plus en termes monétaires marque une rupture.

Ce revenu garanti est aussi un pari anthropologique, je veux dire que nous sommes conscients que ça peut foirer. Il s’agit de dire que nous ne sommes pas seulement des forçats du travail et de la consommation, mais beaucoup d’autres choses.

Un des coups de génie du capitalisme a été d’« insécuriser » les gens. « Insécurisés » sur le plan économique, mais aussi sur le plan social avec la casse des identités collectives, « insécurisés » aussi sur le plan individuel avec la difficulté que l’on a de se construire. Nous pouvons au moins agir sur la sécurité économique. Ce n’est pas la fin du travail, mais la fin du travail aliéné.

On vous rétorquera à droite comme à gauche que ça fera fuir l’investissement dans un monde ouvert.

C’est ce même discours qu’on entendait déjà au XIXe siècle quand on a voulu supprimer le travail des enfants, au XXe siècle quand on a créé les congés payés. D’où l’importance symbolique de la republication du programme du Conseil national de la résistance qui montre que quand on a la volonté politique, l’intendance suit.

J’ai été furieux, lors des dernières régionales, d’entendre des listes de gauche dire qu’elles étaient contre la gratuité des transports en commun. Pourquoi refuser aux transports ce qu’on accorde à l’école publique ?

Il y a deux conceptions de la gratuité :

l’une d’accompagnement du système, qui n’est étendu qu’aux plus démunis, et qui s’accompagne de condescendance et d’un certain flicage ;

l’autre est une gratuité d’émancipation, qui dit que nous héritons solidairement d’une planète. Une gratuité créatrice de lien social.

Nous ne sommes pas des talibans verts, pour nous les questions sociales et écologiques ont la même importance. Nous cherchons à élargir la critique habituelle que la gauche fait du capitalisme.

« Nous sommes dans une utopie pratique »

D’ici à 2012, comment allez-vous vous faire entendre ? Une candidature à la présidence ?

Il y a un débat dans le milieu de la décroissance sur la manière de traduire politiquement ce demi succès culturel que nous avons pu emporter. Un appel m’a été lancé par plusieurs réseaux d’objecteurs de croissance. J’accepte de faire campagne, la candidature c’est autre chose…

Nous nous sommes posés la question en 2005 de savoir si nous allions renouer, en 2007, avec le geste de René Dumont en 1965, candidature écolo avant même la création de tout parti écolo. On avait réuni tout le monde, ce fut un échec politique total. Nous avions le versant négatif, on savait ce qui n’allait pas, mais on n’avait rien à proposer.

Depuis les choses ont fortement avancé. Et si j’ai signé un livre-manifeste, qui est une œuvre collective, c’est parce que nous pensons qu’il est possible de peser sur les débats. Nous nous sommes dotés de deux outils :

une charte a minima -il ne faut pas le cacher, la décroissance c’est aussi une auberge espagnole…-,

et un logo pour assurer la visibilité du mouvement, l’escargot.

Ces campagnes -présidentielle et législative- seront moins l’occasion d’avoir des candidats, même s’il y en aura, que de créer des collectifs locaux pour fonder une maison commune des objecteurs de croissance qui réunira des gens qui seront membres d’autres organisations.

Fondamentalement, notre objectif est de faire avancer nos thèmes afin qu’ils deviennent des enjeux de lutte sociale. Nous voulons montrer que nous sommes dans une utopie pratique, que nous avons des propositions qui commencent à être réalisées.

Le succès d’estime du terme de décroissance permet à chacun de mettre des mots sur ce que chacun ressent : on ne peut pas continuer à produire et consommer plus. Et pas seulement sur le plan écologique, mais humain, sans aller jusqu’à péter les plombs.

A lire aussi sur Rue89 et sur Eco89

« Décroissance », le mot qui met les écolos en ébullition

« Plutôt que décroissance, il faut penser bien-être et démocratie »

Rabhi : « C’est la civilisation la plus fragile de l’Histoire »

Tous les articles de Planète89

Ailleurs sur le Web

La fiche Wikipédia de Paul Ariès

Le site du journal décroissant Le Sarkophage

« Entre-deux-Mers 2030 : quel paysage et quel urbanisme voulons-nous ? »le Jeudi 20 mai à 20h30 au Centre Culturel de Créon

MNE Bordeaux-Aquitaine, communiqué, le 12 mai 2010

Le Comité de liaison de l’Entre-deux-Mers et la Maison de la Nature et de l’Environnement Bordeaux-Aquitaine, vous invitent dans le cadre de l’Université Populaire de l’Environnement, à participer à un cycle de deux conférences-débat sur le thème de « L’Entre-deux-Mers en 2030 ».

La deuxième de ces conférences-débat publique aura lieu : « Entre-deux-Mers 2030 : quel paysage et quel urbanisme voulons-nous ? »

Avec la participation de deux architectes bordelais spécialistes de l’éco-construction

Marc Lasaygues et Olivier Lehmans

La conférence débat sera précédée de la diffusion d’un film documentaire de Matthieu Lietaert « Vivre en co-habitat »

La première conférence « La construction du paysage et de l’urbanisme dans l’Entre-deux-Mers » a eu lieu le 25 mars à Créon avec la participation de Jean-Claude Hinnewinkel, professeur honoraire de géographie de l’Université de Bordeaux 3 et François Gondran, Directeur du service départemental de l’architecture et du patrimoine de la Gironde. Elle a été précédée de la diffusion d’un film documentaire de Pierre Pommier, « La vigne de Montgirard » qui évoque la vie au fil des jours au cours de l’année 1977 à Cénac, village de l’Entre-deux-Mers à l’est de Bordeaux.

Ville et humanité

En 1800, environ 3 % de la population mondiale vivait en ville, en 1900 près de 14 % et pour une population totale de 6,4 milliard d’urbains, on table sur 70 % en 2030. Avec l’usage intensif des ressources énergétiques fossiles et suivant la formule de l’historien Lewis Mumford, le monde entier est « devenu une ville », ou plutôt, une constellation en réseau de pôles urbains démesurés. Ils forment les nœuds de l’espace économique mondialisé, avec pour finalité l’accélération permanente de la production et de la consommation de biens et de services.

Nous habitons désormais des milieux artificiels, hypersophistiqués, enveloppés d’outils, de claviers, de rues et de places, de réseaux et d’écrans qui, petit à petit, effacent de nos perceptions la présence de la nature et la consistance réelle de la planète. Les relations entre pôles urbains sont devenues aujourd’hui plus déterminantes que les relations entre ces pôles et leurs arrières pays. Cette évolution est en train de faire disparaitre les circuits économiques entre la ville centre et sa campagne périphérique.

Le cocktail que constituent : croissance démographique exponentielle, concentration urbaine, environnement techno-scientifique de plus en plus complexe et fragile, fin de l’énergie bon marché et de nombreuses ressources naturelles, incapacité à contrôler le changement climatique, incapacité à résoudre les injustices sociales (nord/sud comme nord/nord), incapacité à repenser la relation homme/nature… ne comprend-il pas les ingrédients d’une crise écologique et sociale majeure, qui assombrit très sérieusement notre avenir commun ? Pour ne citer que des exemples récents, l’analyse des causes et/ou des conséquences de la tempête Xhyntia, de l’irruption de l’Eyjafjöll ou de la marée noire dans le golf du Mexique ne révèle-t-elle pas les limites de ce modèle de développement ? L’espèce humaine ne serait-elle qu’une espèce invasive tropicale en train de détruire sa niche écologique !?

Flux et reflux des modèles d’urbanisation

Dans l’ensemble que constitue l’agglomération bordelaise, le bassin d’Arcachon, le libournais, le langonnais et le Médoc, il y a ici comme sur tous les territoires plusieurs Lire la suite

Eco-développement – Villes en transition, l’expérience anglaise : Pour des villes moins dépendantes du pétrole

salades-nicoises.net, NC, le 4 janvier 2010

[Article plus complet sur le site d’origine]

Eco-développement : Villes en transition, l’expérience anglaise

Pour des villes moins dépendantes du pétrole

Voir en ligne : http://villesentransition.net

La dépendance de notre société au pétrole est grossièrement sous-évaluée. Un pétrole peu cher a entrainé des bouleversements énormes dans notre mode de vie ces trente derniéres années (nourriture, travail, mobilité, loisirs). Les trente prochaines seront source d’encore plus de changements a notre vie quotidienne.

40 % de notre nourriture est importée. Légumes, fruits et blé le sont a 85 %. Cette dependance sur des produits venus d’aussi loin n’est pas sans risque et a la merci de beaucoup d’aléas. Tout repose sur une chaine d’approvisionnement de plateformes logistiques régionales travaillant en flux tendu, avec peu de réserves et de lieux de stockage, par rentabilité financière. Une menace d’interruption de la chaine met tout de suite en péril l’approvisionnement alimentaire de la population, pouvant entrainer de graves pénuries, puis des troubles etc.

En 2000 durant la greve des routiers en Grande Bretagne, le patron de Sainsbury’s (l’equivalent du group Carrefour chez nous) a contacté dans l’urgence le premier ministre Tony Blair pour l’alerter que les reserves de nourriture de premiére necessité seraient epuisées en quelques jours.

Les supermarchés rationnerent pain, sucre et lait.

Aujourd’hui les réserves mondiales de matiéres alimentaires de première necessité sont au plus bas suite a plusieurs années de mauvaises récoltes et leur prix s’envole faisant l’objet d’une frénésie speculative par la communauté financiére. Cette année de nombreux pays exportateurs ont cessé de l’etre afin d’assurer leur propre souveraineté alimentaire ***.

Le pic pétrolier * c’est pour 2020 estime Fatih Birol économiste en chef de l’Agence Internationale de l’Energie **, les reserves mondiales ont passé un cap, le déclin de la production de pétrole est inéluctable.

En réponse à la double pression du pic pétrolier* et du changement climatique, quelques communes pionnières au Royaume Uni, en Irlande et ailleurs ont adopté une approche fédératrice et globale pour réduire leur bilan carbone et mieux se préparer aux bouleversements qui accompagneront le déclin de la production de pétrole dans les dix ans a venir.*

De la dépendance au pétrole à la résilience des communautés

Bristol (population 416 000 habitants) a été la première grande ville a financer une étude d’impact sur la vie locale ( transport, nourriture, santé, energie, economie, services publics etc) en cas de pic petrolier* et a en tirer des conclusions ( recherche d’autosuffisance alimentaire, relocalisation) pour preparer l’aprés-pétrole.

Bristol en Transition la première initiative d’échelle urbaine, met en réseau, inspire, forme, favorise et soutient les initiatives a l’echelle locale des quartiers et villages – Redland en Transition, Withywood en Transition, etc. – dans leurs propres Initiatives de Transition.

« Les villes en transition sont une manière concrète pour les individus d’agir sur le climat et le défi du pic du pétrole ». C’est ce qu’on appelle un « grassroots movement » mouvement d’autonomisation ** partant de la base, inversant la pyramide decisionnelle.

*Pic pétrolier

*************

Le pic pétrolier c’est en 2020, estimait Fatih Birol économiste en chef de l’Agence Internationale de l’Energie dans son rapport annuel 2008

(Créée en 1974 suite au premier choc pétrolier, l’AIE Lire la suite

TCHAT avec Pierre Rabhi : Notre modèle de société va déboucher sur un dépôt de bilan planétaire»

liberation.fr, Pierre Rabhi, le 7 décembre 2009

«Notre modèle de société va déboucher sur un dépôt de bilan planétaire»

La conférence sur le climat sera-t-elle à la hauteur des enjeux? Le philosophe et agronome Pierre Rabhi, pionnier de l’écologie, n’y croit pas et propose des solutions pour protéger la planète. Il a répondu à vos questions.

Vrille. La crise économique pourrait-elle avoir un effet positif sur la crise climatique ?

Je crois que c’est abusif de donner le joli nom d’«économie», et incorrect. Ce que nous appelons économie n’est absolument pas de l’économie, puisqu’il s’agit du pillage généralisé de la planète. C’est-à-dire par cette croissance indéfinie sur laquelle nous avons fondé notre mode de gestion des ressources planétaires. Avant toute chose, il faut s’entendre sur ce qu’est l’économie, qui, pour moi, consiste d’abord à répartir équitablement les ressources entre les êtres humains.

Francoise. Cher monsieur Rabhi, mes respects et mon admiration. Voici ma question : comment décroître en France sans créer de chômage ?

Il faut se rendre à l’évidence : notre modèle de société, basé justement sur une vision erronée de la planète, ne pourra certainement pas se poursuivre sans aboutir à une sorte de désastre et de dépôt de bilan planétaire.

La décroissance doit être mise en perspective et graduellement organisée sur les bases d’un vivre ensemble fondé sur ce que j’appelle «la sobriété heureuse», un art de vivre fondé sur la modération. Cela passe, évidemment, par revoir nos comportements. Pour chacun de nous, au quotidien. Il faut aussi militer pour que le politique et l’économique soient révisés sur la base d’une réalité absolue. Nous ne pourrons pas continuer à appliquer le toujours plus sur une réalité planétaire limitée.

boudhinette@yahoo.com. La reforestation peut-elle avoir un impact contre l’effet de serre ?

Oui. Il est connu que la reforestation a des effets bénéfiques sur le climat. Cependant, cette reforestation devrait être précédée d’une réglementation drastique sur la destruction des forêts existantes. Il ne sert à rien de déforester d’un côté, et, de l’autre, prétendre corriger par la reforestation. En gros, cessons d’abord de déforester, et envisageons ensuite l’avenir avec la reforestation.

Kwami12. Pourquoi, selon-vous, la France est-elle aussi en retard par rapport à d’autres pays européens quant à la création de lieux de vie écologiques et solidaires (écovillages, etc.) ?

Je ne connais pas la raison pour laquelle il n’y a pas encore cet esprit ou cette réalité. L’avenir ne pourra pas être au chacun pour soi, ni à une urbanisation extravagante, comme nous en sommes témoins aujourd’hui. La question qui se pose, c’est: qu’allons-nous faire après que notre modèle de société, qui assure la survie des citoyens par des rémunérations et autres moyens, lorsque ce modèle arrivera à ses limites. Il faut absolument une politique Lire la suite

Le réseau des territoires en transition : Quand la ville se sèvre du pétrole

Quand la ville se sèvre du pétrole

mondequibouge.be, Anne Thibaut, Pierre Titeux, Fédération Inter-Environnement Wallonie
article publié dans Imagine demain le monde (n°74 – juillet & août 2009), le 6 octobre 2009

Sans attendre des réorientations politiques et économiques qui tardent à s’opérer, des citoyens ont décidé de prendre leur avenir en main et d’œuvrer, au niveau local, à la construction de la société de « l’après-pétrole ».

Tout a commencé en 2006, à Totnes, ville de 7 700 âmes située dans le Devon, à l’extrême sud-ouest de l’Angleterre. Quelques habitants se sont regroupés autour de Rob Hopkins pour mettre en œuvre le concept de « transition town » (« ville en transition ») développé par cet enseignant en permaculture (1).

Pour Hopkins, il appartient à chaque communauté, à chaque entité locale, de construire la résilience (2) qui lui permettra d’encaisser les bouleversements sociétaux générés par le pic pétrolier (3) et la crise climatique. Il s’agit de préparer dès aujourd’hui un futur moins gourmand en énergie en élaborant des systèmes de production, de consommation et de vie en commun conciliables avec les contraintes écologiques, économiques et sociales qui s’annoncent.

La ville en transition s’articule autour d’une vision alternative positive qui sert de fi l rouge à l’élaboration d’un Plan d’action de descente énergétique (Pade). La mise en œuvre de ce plan répond à trois mots d’ordre : autonomie (alimentaire, énergétique), relocalisation (de la production, des emplois) et solidarité. Ses promoteurs savent que c’est une démarche de longue haleine ; les objectifs portent sur le long terme, car on ne peut espérer changer en quelques années l’ensemble des paramètres constitutifs d’une société. La notion de transition traduit ce travail sur la durée : on est en marche vers un autre modèle, le changement est en cours mais loin d’être achevé.

Mode d’emploi

A Totnes, comme ailleurs par la suite (152 initiatives ont rejoint à ce jour le réseau officiel Transition network et plusieurs centaines d’autres s’apprêtent à le faire), le processus de transition a respecté une série d’étapes clairement défi nies. Pour commencer, un groupe temporaire de pilotage se crée et jette les fondations de la démarche. Il lui appartient également de lancer un programme de sensibilisation aux deux problématiques imposant l’action : le pic pétrolier et les changements climatiques.

Lorsque la communauté apparaît suffisamment sensibilisée (ce qui prend de six mois à un an) et que des contacts avec des groupes déjà actifs (essentiellement des associations environnementales et sociales) ont été noués, les pilotes organisent une grande fête.

La dynamique et l’énergie libérées lors de cet événement permettent au mouvement de Lire la suite

Qu’est-ce que l’écologie politique ?

politis.fr, Jean-Louis Gueydon de Dives, le 23 juillet 2009

Qu’est-ce que l’écologie politique ?

Ces temps-ci, l’évolution des relations entre la politique et l’écologie me laisse rêveur. Certes, il y a eu le succès d’Europe Écologie aux européennes, mais le plus étonnant, c’est ce qui a suivi ce scrutin, qui révèle la grande difficulté des politiciens à se mettre à l’écologie. On a vu en effet une gauche qui se dit écologiste ironiser sur le vote « écolo-bobo » et les luttes intestines des Verts, tout en montrant qu’elle continue à faire passer le social et l’emploi bien avant l’écologie. On a vu la droite récupérer une fois de plus l’écologie, mais en la réduisant au verdissement du business, une belle entourloupe, car jamais la production massive de gadgets inutiles et la mondialisation effrénée des échanges ne seront écologiques. À l’évidence, ni les uns ni les autres ne sont réellement écologistes car, pour l’être, il faudrait qu’ils se sentent effectivement concernés par l’extinction massive des espèces, qu’ils choisissent de vivre simplement, qu’ils sortent de l’anthropocentrisme, et qu’ils abandonnent la priorité obsessionnelle attribuée à l’économie, ce qu’ils semblent bien incapables de faire. Certes, il faut avoir de la compassion pour ces pauvres politiciens : ménager la chèvre et le chou, c’est bien difficile quand on n’est pas écolo, et il faut avouer qu’au fond – même si tout le monde s’accorde sur la non-durabilité du système actuel – personne ne sait vraiment par quoi le remplacer.

Alors souhaitons-leur de rester modestes, d’admettre leur ignorance face aux changements qui viennent, et de cesser de proposer des solutions qui n’en sont pas. Espérons qu’ils prendront conscience de leurs barrières mentales, de leurs archaïsmes, à droite comme à gauche. Et qu’ils cessent de se référer au passé face à une crise qui demande d’inventer du neuf, et rapidement. Et s’ils ne savent pas où aller, souhaitons qu’au moins ils y aillent en préservant notre capacité à « vivre ensemble », ce qui est le minimum à attendre de la politique. Car le contexte pourrait bien devenir plus difficile pour ce « vivre ensemble ». Non pas du fait d’un écoterrorisme prédit par la droite (aujourd’hui du domaine du fantasme policier), mais plutôt par le développement d’un écototalitarisme d’État générant une prolifération d’interdictions dans tous les domaines de la vie quotidienne, accompagnée d’une répression musclée.

C’est pourquoi la question politique concrète la plus importante qui se pose aujourd’hui aux écologistes, qu’ils soient de droite ou de gauche, est celle de la démocratie, c’est-à-dire la façon dont seront prises et appliquées les décisions concernant l’environnement, dans un contexte d’urgence, et de façon à préserver au mieux la justice et la paix sociales. Et plus précisément, puisque la défense de l’environnement passe nécessairement par une relocalisation de la production et des échanges, la façon dont sera animée – ou plutôt réanimée – une véritable démocratie locale. Non pas dans le sens habituel d’une délégation de pouvoirs à des élus locaux plus ou moins compétents, mais plutôt dans celui d’une réappropriation par les citoyens eux-mêmes des décisions concernant leur vie quotidienne, et cela au plus proche du terrain, dans le but de reprendre le contrôle de leurs vies, qu’ils n’ont que trop abandonné aux institutions et aux multinationales. Ce qui veut dire s’organiser localement, démocratiquement, dans la justice et la solidarité, pour produire et consommer, se nourrir, s’éduquer, construire, etc. Investir les conseils municipaux, pratiquer systématiquement des référendums locaux, mettre en place des monnaies locales, des filières courtes, etc. Bref, réinventer de véritables « communautés » autogouvernées.

Oublions donc les jeux d’appareils et les alliances d’éléphants au niveau national. Oublions la politique spectacle. Construisons plutôt une vraie démocratie locale au plus près de la réalité du terrain. Cela – et seulement cela – sera de l’écologie politique. Et puis mettons-y un peu moins de mental organisateur et un peu plus de poésie et de féminin… Portons sur nos voisins et les êtres vivants qui nous entourent un regard plein de douceur et de respect. Car n’est-ce pas aussi cela, le b.a.-ba du Lire la suite

De la relocalisation à la décroissance… ou au DD ?

neocampagne.wordpress.com, Emmanuelle Mayer, février 2009

De la relocalisation à la décroissance… ou au développement durable ?

J’ai déjà évoqué l’importance de relocaliser l’économie ou plutôt de créer une économie localisée pour favoriser le développement des territoires ruraux mais aussi pour inventer un nouveau modèle de société, plus écologique et sociale. J’ai aussi abordé la question de l’autonomie (vie en auto-suffisance). Il est donc logique que je m’aventure sur le terrain de la décroissance, ce mot-qui-fait-peur mais qui, pourtant, sous-tend une idéologie moins négative qu’elle ne paraît et ouvre différentes perspectives en terme de projet de société.

Pour cela, je vous propose un petit compte-rendu d’une conférence de Serge Latouche, l’économiste le plus prolixe sur la question, qui s’est tenue cette automne à Paris, organisée par les JNE (journalistes pour la nature et l’écologie, dont je suis membre).

Origine du concept de décroissance

La décroissance vient de la rencontre de deux courants de pensées :

– l’écologie politique : le Club de Rome, les intellectuels comme André Gorz ou Bernard Charbonneau, le scientifique Georgescu Roegen, à qui l’on attribue la paternité du mot décroissance (en fait, c’est à son traducteur que l’on doit le terme). Pour ces penseurs, seule la sobriété peut permettre de résoudre la crise écologique puisque la seconde option, la foi en la techno-science (scientisme), conduit à une crise sociale et déshumanise

la critique du développement : des penseurs comme Ivan Illich et François Partant, pour qui l’idéologie du développement n’est que la poursuite des pratiques colonialistes et reflète une velléité d’occidentaliser le monde. En toile de fond, la critique de la société de consommation et de ses 3 piliers : la publicité, l’obsolescence programmée et le crédit.

Au début des années 2000, le développement durable fait son entrée et La Ligne d’Horizon (l’association des amis de François Partant) s’inquiète de ce concept qui leur semble n’être que le nouveau visage de l’idéologie du développement qu’ils critiquent. Cette association organise donc en mars 2002 un colloque international à l’Unesco sur le thème de l’après-développement. Là, ça a fait “tilt” : la décroissance a permis la convergence de ces deux courants.

Un mot communiquant

Le mot “décroissance” a été choisi pour son côté communiquant, plus parlant que la notion d”après développement”. Dans un monde de communication, il fallait un mot un peu slogan, qui puisse susciter des réactions. C’était important face à l’inertie actuelle. Avec le mot décroissance, on se focalise sur la base des problèmes : la croissance à l’infini n’est pas soutenable car les ressources de la planète sont limitées, et elle n’est pas souhaitable d’un point de vue social. Pour le reste, les divergences sont nombreuses car la décroissance a donné naissance à plusieurs courants de pensée.

Trois contre-sens à propose de la décroissance

Où les sceptiques se rendent compte qu’il ne s’agit pas du tout de revenir à la bougie

1) la décroissance n’est pas la récession ni la croissance négative, ni la croissance zéro.
La crise actuelle n’a rien à voir avec la décroissance. Et pour cause, il n’y a rien de pire qu’une croissance négative dans une société bâtie sur la croissance, c’est que nous vivons en ce moment (nous et nos portes-monnaies !). La décroissance, c’est une invitation à créer un nouveau projet de société qui Lire la suite

Jean Zin : L’avenir radieux

jeanzin.fr, le 5 mars 2009

L’avenir radieux

Beaucoup en conviendront, c’est une très bonne nouvelle que l’ancien monde s’écroule. Il n’y a pas à se lamenter sur son sort mais à s’impatienter plutôt d’un effondrement d’une insupportable lenteur. Même si on doit en passer par des moments difficiles, ce qu’on nous présente comme de très mauvaises nouvelles, sont pour nous un retour plus que salutaire à la réalité, à la prise de conscience collective. Au moment du plus grand danger et malgré toutes les menaces qui s’amoncellent, on peut retrouver paradoxalement un optimisme perdu depuis bien longtemps, la Guadeloupe n’étant que la première de nos victoires dans la reconquête de tous nos droits et la réappropriation de la démocratie par ses citoyens.

Il ne faut plus en douter, c’est un avenir radieux qui s’ouvre devant nous, nous sommes dans l’An 01 d’une ère nouvelle avec tout à construire, tout à inventer, ce qui ne veut pas dire faire n’importe quoi et donner libre cours à tous les fantasmes mais, tout au contraire, pour répondre aux défis qui nous sont lancés, il nous faudra tenir compte de toutes les contraintes écologiques, économiques, techniques, sociales ainsi que de tous nos défauts, individuels et collectifs, de notre nature double et fragile, de notre besoin d’autonomie comme de solidarité.

Après avoir tenté de donner un programme minimal susceptible d’unir les revendications sociales, il est temps d’esquisser dès maintenant ce que pourrait être l’étape suivante, pas si éloignée, un programme maximum si l’on veut, afin d’en éprouver les limites et sortir des visions religieuses, idéologiques ou émotionnelles de la politique au profit d’un projet concret, d’une nouvelle organisation économique et sociale au service de l’épanouissement humain.

Pour se représenter la vie dans ce monde nouveau, il faut planter le décor d’une économie relocalisée en grande partie (pas complètement) et tournée vers les services et l’immatériel avec un retour de l’artisanat et des petits producteurs biologiques locaux.

Il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y aura plus d’industrie ni de capitalisme. Il y aura même des industries comme le textile rapatriées, une fois la Chine tournée vers son marché intérieur et engagée vers la hausse des salaires. Simplement l’industrie ne représentera plus qu’une part minime de l’activité avec des usines très automatisées et une part de plus en plus importante d’objets seront produits localement par des imprimantes 3D ou des petits ateliers numériques reproduisant sur place des articles commandés aussi bien que des créations originales (qu’on les appelle « micro-usines personnalisées » ou fabbers ou digital fabricator). De quoi réduire la part de l’industrie et les transports même s’il faudra toujours s’approvisionner en matières premières et que l’industrie restera compétitive dans les productions de masse.

L’agriculture devrait reprendre un peu plus de place, y compris en ville (sur les toits et entre les tours), avec de nombreux petits agriculteurs fournissant les marchés de proximité mais aussi avec le développement des jardins individuels.

Le petit artisanat sera encouragé mais l’essentiel de l’activité concernera la santé, l’éducation, la formation, la recherche, la culture, l’information, l’informatique, le divertissement, la restauration, le tourisme, etc. L’informatique se distingue des services par son caractère immatériel et sa capacité à se multiplier alors que dans les services, les personnels ne peuvent se dédoubler. En tout cas, on est là dans une économie plus écologique et humaine dont la croissance n’augmente pas forcément la consommation matérielle, on peut y veiller. Cela ne supprime pas pour autant Lire la suite

Il faut une discrimination positive à l’égard du “durable”

la-croix.com, Aude Carasco, le13 février 2009

« Il faut une discrimination positive à l’égard du “durable” »

Pour Jean Gadrey, économiste, membre de la commission Stiglitz (1), la crise doit accélérer une réorientation de l’économie vers des activités de proximité

La Croix : Le « Made in près de chez soi » connaît un regain d’intérêt avec la crise. Cela peut-il être durable ?

Jean Gadrey : La relocalisation d’une partie de l’économie va devenir une nécessité, avec la crise écologique. Le fait de faire circuler sur des milliers de kilomètres des produits finis, intermédiaires ou agricoles, a accentué les problèmes environnementaux, sans résoudre la crise alimentaire. Cela a aussi accentué la crise économique que nous connaissons.
Ces constats devraient pousser les organisations internationales à développer l’agriculture paysanne, la production vivrière et d’autres types d’activités de proximité.

Quels types d’emplois pourraient être générés ?

Nous avons besoin d’une reconversion de l’agriculture industrielle vers une agriculture durable de proximité. Il y a moins d’un million d’emplois dans l’agriculture en France. Et seul 1,7 % du territoire est occupé par des fermes bio, contre 10 % en Autriche. D’ici à trente ans, une agriculture durable et bio pourrait générer de un à deux millions d’emplois, dont l’essentiel serait des emplois d’agriculteurs autour des agglomérations.

Cela supposerait une vraie politique publique, nationale et européenne, qui favorise les circuits courts et établisse une discrimination positive en faveur du durable, via des aides publiques, des taxes sur les activités polluantes, une réorientation de la politique agricole commune.
Les énergies renouvelables constituent aussi un vivier d’emplois non délocalisables. Selon NégaWatt, le développement de ces énergies permettrait d’adjoindre 600 000 emplois dans le secteur des énergies et de la réhabilitation des logements.

D’autres emplois disparaîtraient dans le même temps…

Le fait de diviser par quatre ou cinq d’ici à 2050 nos émissions de C02 suppose d’organiser la décroissance de la société de l’automobile, des hypermarchés, du tourisme, du secteur aérien, des industries polluantes.

Si on s’y prend à temps, il est possible de reconvertir ces personnes dans l’agriculture de proximité et de qualité, les énergies, les bâtiments réorientés et les transports en commun.

Le plan de relance français va-t-il dans ce sens ?

La crise pousse les responsables politiques à remettre à plus tard les objectifs de développement durable. Les plans de relance auraient dû servir à réorienter plus vite l’économie vers le durable. Il ne fallait pas donner de l’argent public sans injonction sur les changements de cap. Cela revient à créer les conditions d’une crise encore plus grave plus tard.

Peut-on réorienter l’économie sans qu’il y ait de croissance ?

Garder les yeux sur la croissance est le plus sûr moyen d’enchaîner les crises. Nous avons besoin de repères nouveaux. La crise est liée à l’excès des inégalités et de la précarité. Des indicateurs doivent nous aider à remettre l’économie à sa place en lui fixant d’autres caps, que sont la cohésion sociale, la simplicité. C’est l’objectif fixé à la commission Stiglitz, qui remettra ses conclusions fin avril.

On a atteint un tel degré d’inégalité qu’aujourd’hui le patrimoine réuni (hors résidence principale) des dix millions de millionnaires de la planète atteint 40 000 milliards de dollars, alors que ces millionnaires ne représentent que 0,1 % de la population mondiale. Lire la suite