Al Gore relance le débat sur le négationnisme climatique

planetdestroy.canalblog.com, Véronique Smée, 03 septembre 2007

Al Gore relance le débat sur le négationnisme climatique

Dans une intervention au Global Brand Forum de Singapour, l’ancien vice-président américain a dénoncé devant un parterre de dirigeants la campagne de désinformation menée par plusieurs multinationales sur la réalité des changements climatiques. Parmi elles, le leader mondial du pétrole ExxonMobil, chef de file des « négationnistes ».

Invité à participer au « Forum mondial des marques »–qui réunit les leaders de la publicité, des médias et des technologies de l’information-, Al Gore en a profité pour rappeler que « certains des plus grands groupes énergétiques mondiaux, dont ExxonMobil, financent des études destinées à remettre en question le concept de réchauffement climatique dans le cadre d’une campagne mondiale de désinformation ». Certes, la chose est connue, mais la popularité et la légitimité de l’ancien vice-président relancent opportunément le débat sur le lobbying américain en matière climatique. « Il s’agit d’une campagne organisée, financée à hauteur de dix millions de dollars (7,2 millions d’euros) par an par certains des plus grands émetteurs de gaz carbonique afin de donner l’impression qu’il existe un désaccord au sein de la communauté scientifique » sur le réchauffement, a lancé Al Gore. « Certaines compagnies de tabac ont dépensé des millions de dollars pour faire croire à des divergences parmi les scientifiques. Certains groupes industriels et le numéro un mondial du pétrole ExxonMobil en ont fait autant ces dernières années », a-t-il poursuivi, rappelant que le réchauffement climatique donne lieu à « l’un des plus forts consensus de l’histoire de la science ».
L’auteur du documentaire « Une vérité qui dérange » a également précisé qu’ « une prime de 10.000 dollars pour chaque article publié qui contesterait ce consensus » avait été proposée par le lobby négationniste.

Think tanks

Déjà, en janvier dernier, un rapport publié par un groupe d’experts américains a montré comment le géant pétrolier a organisé et financé une campagne de désinformation sur les changements climatiques. ExxonMobil aurait ainsi distribué près de 16 millions de dollars entre 1998 et 2005 à un réseau composé d’une quarantaine de think tanks et de lobbystes. Intitulé « Smoke, Mirrors & Hot Air » (« Fumée, miroirs et air chaud » ), le rapport de l’Union of Concerned Scientists, un groupe d’experts environnementaux, a été publié début janvier aux Etats-Unis pour dénoncer la manipulation et le  » négationnisme  » orchestré par le leader pétrolier. Celui-ci a financé à hauteur de 16 millions de dollars -une goutte d’eau dans les 36 milliards de son résultat net annuel- 43 organismes chargés de manipuler l’information sur le réchauffement de la planète et nier les impacts des activités industrielles sur le climat. Dès 1989, Exxon participe au Global Climate Coalition, qui regroupe à l’époque d’autres multinationales Texaco, General Motors, Ford, British Petroleum…., qui ont depuis pris d’autres positions. Le but de la structure était alors de lutter contre le Protocole de Kyoto et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en constestant systématiquement les conclusions du GIEC (groupement interntional d’experts climatiques). Par la suite, Exxon fonde divers groupes de lobbying, comme le Competitive Enterprise Institute -à hauteur de 2 millions de dollars-, qui a récemment réalisé un spot télévisé vantant les bénéfices du dioxyde de carbone, « un gaz inoffensif, indispensable à la croissance des plantes », omettant d’ajouter que la forte concentration de C02 devenait en revanche nuisible à la vie terrestre…Autre organisme financé par Exxon, l’institut George C. Marshall a perçu 630 000 dollars pour soutenir les thèses scientifiques contestant les changements climatiques, dont celle de Patrick Michaels, professeur en sciences environnementales à l’Université de Virginie et climatologue de l’État de Virginie, membre lui-même d’une dizaine de groupes fondés par Exxon. De même, l’Annapolis Center for Science-Based Public Policy and Committee for a Constructive Tomorrow, autre think tank du réseau, a promu pour 300 000 dollars, les travaux de Sallie Baliunas, astrophysicienne qui avait conclu dans un  article en 2003 que  » les températures n’ont pas beaucoup varié durant ces derniers millénaires « .
Des méthodes semblables à celle de l’industrie du tabac

Les manipulations répétées d’ExxonMobil ont créé l’indignation de nombreuses personnalités scientifiques, comme récemment  la Royal Society, première association de scientifiques Britanniques, qui a officiellement demandé au groupe pétrolier de cesser son soutien financier à ces organisations  » présentant des informations inexactes et trompeuses « . Alden Mayer, directeur à l’Union of Concerned Scientists, explique que les méthodes utilisées par Exxon sont identiques à celles de l’industrie du tabac.  « ExxonMobil a fabriqué de l’incertitude autour des causes humaines du réchauffement global, comme l’industrie du tabac a nié que son produit causait le cancer du poumon « , observe Alden Mayer. « Un doute entretenu par un investissement modeste mais efficace, pour retarder l’action de l’Etat à l’instar de 40 ans de résistance des cigarettiers.  » Du reste, le rapport souligne que plusieurs lobbyistes de la cause du tabac ont œuvré pour la campagne d’Exxon. Steven Milloy , membre d’un groupe fondé par Philip Morris en 1993 dont le but était de nier le lien entre cancer et fumée passive, a participé au Global Climate Science Team crée par ExxonMobil, et a ensuite présidé le Free Enterprise Action Institute, financé en grande partie par le pétrolier…

Des actionnaires inquiets

Malgré cette hostilité, l’attitude du groupe a commencé depuis peu à évoluer. Exxon continue son lobbying anti-Kyoto mais reconnaît désormais  » les risques posés par le changement climatique et leurs impacts potentiels sur les sociétés et les écosystèmes.  » Rex W. Tillerson, président du groupe, explique ainsi qu’Exxon entend  » continuer à améliorer les performances environnementales à travers des efforts accrus en matière d’efficacité énergétique et notamment à travers la diminution des émissions de gaz à effet de serre « .
Ce changement de posture ne suffit pas, cependant, à rassurer les investisseurs et actionnaires du groupe, de plus en plus inquiets. Lors de l’assemblée générale du groupe, le soutien des résolutions sur les GES a atteint des records cette année. Le 30 mai, les actionnaires d’ExxonMobil ont voté à 31% en faveur d’une résolution sur la réduction des émissions de GES. Parmi ces actionnaires, qui représentent  121 milliards de dollars d’actions, figuraient des fonds de pension d’État, qui ont obtenu le soutien des cabinets de conseil en vote comme ISS et Glass et Lewis & Co.

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