Renouveau de l’écologie politique : la décroissance en débat

mediapart.fr, Stéphane Lavignotte, le 20 février 2010

Renouveau de l’écologie politique: la décroissance en débat

Pasteur écolo-libertaire, Stéphane Lavignotte présente son livre La décroissance est-elle souhaitable?, un des quatre premiers titres de la collection «Petite Encyclopédie Critique» des éditions Textuel

La thématique de la décroissance a fait florès, des débats entre écologistes, aux échanges avec la gauche de la gauche, jusqu’aux pages de la grande presse. Mais rarement un débat – hormis celui sur l’islam ! – aura été aussi confus. Il me semblait important de commencer par clarifier le débat, en présentant les thèmes de la décroissance, puis étudier la justesse des critiques qui leur étaient adressées, avant d’avancer des éléments plus personnels notamment en terme de stratégie politique et d’éthique.

Vitalité intellectuelle des objecteurs de croissance

Un des intérêts – et pas des moindres – du courant de la décroissance est de donner une seconde jeunesse à l’écologie politique. D’abord parce qu’il reprend les thèmes de l’écologie au moment de sa naissance, tels que René Dumont, Jacques Ellul, Ivan Illich ou André Gorz les ont développés à partir du début des années 1970 : une mise en cause des dogmes de la croissance et du bonheur par la consommation, leurs conséquences pour la planète, la critique de la technique… Ensuite parce qu’il redonne un ton radical à l’écologie après trente cinq ans de participation de ce courant au débat politique et un certain assagissement : la relative institutionnalisation des Verts et des grandes associations écologistes, « le développement durable » comme nouveau consensus (au moins apparent), la naissance du mythe de « la croissance verte »… Des auteurs comme Paul Ariès, Vincent Cheynet, Bruno Clémentin, Serge Latouche sont apparus dans le débat à travers leur critique de ces évolutions. Ils démontrent combien le « développement durable » est une contradiction dans les termes, un oxymore selon Serge Latouche. Par exemple en raison de l’effet rebond : chaque voiture pollue moins – ce qu’on appelle « l’éco-efficience » – mais comme il en y a de plus en plus, au total, le secteur automobile pollue plus… Cette logique de polluer moins pour polluer plus longtemps est dénoncée. Mais la polémique ne se tourne pas uniquement sur la « droite » de l’écologie, elle critique aussi sa gauche altermondialiste : est-ce seulement la croissance qui doit être mise en cause ou toute logique de développement ? Les débats sont vifs notamment avec l’association ATTAC.

Cette approche décapante a d’abord cela de souhaitable qu’elle oblige non seulement l’écologie a se poser la question de sa radicalité, mais à la gauche – notamment radicale – à se poser la question de l’écologie au delà de la seule dénonciation des conséquences de la logique de profit sur la planète. Ce n’est pas seulement la question de la propriété des moyens de production qui doit être posée, mais celle de la croissance des forces productives : pas seulement qui contrôle les usines, mais quelles machines pour quelle production ?

Apports de l’écosocialisme

Cette mise en cause oblige la gauche radicale à accorder plus d’attention au courant de l’écosocialisme qui en son sein tente depuis des années de faire entendre ces problématiques et apporte au débat des éléments nouveaux. Ainsi en est-il de la question de l’élargissement de l’analyse des contradictions principales du capitalisme : de l’analyse (jadis privilégiée) de la contradiction Lire la suite

Les ONG et l’alerte écologique

laviedesidées.fr, Sylvie Ollitrault, le 8 décembre 2009

Les ONG et l’alerte écologique

La préoccupation écologique semble aujourd’hui faire consensus. On en oublierait presque que ce sont des ONG, longtemps perçues comme marginales, qui les premières ont donné l’alerte et porté le mouvement pour la protection de la planète. Retour sur trente années de mobilisations qui ont changé les représentations.

La défense de l’environnement appartient à la catégorie de ces grandes causes mondialisées comme la lutte contre les discriminations ou la promotion des droits de l’homme. Ce qui se joue à Copenhague relève d’un agenda international qui réunit les représentants des gouvernements, les experts internationaux et les organisations non-gouvernementales (ONG). Le rôle de ces dernières en matière de protection de la planète est complexe ; toutefois, depuis l’origine, le cœur de leur action consiste à informer l’opinion publique et à diffuser l’idée que les enjeux environnementaux réclament des décisions d’urgence. Il s’agit pour elles d’alerter l’opinion, de souligner les paradoxes des politiques publiques internationales – notamment les écarts de conduite des États.

Cependant, à l’occasion de cette conférence, on peut constater que les ONG ont peu renouvelé leur répertoire d’action collective, c’est-à-dire les manières et les mises en scènes permettant de porter la plainte ou de défendre un intérêt (en l’occurrence, la défense de l’environnement). Si le scénario est si bien réglé que les acteurs ne font pas preuve d’inventivité, c’est que les organisations sont de véritables professionnelles de la contestation et que leur savoir-faire militant est extrêmement bien rôdé.

Dans la galaxie des contestataires écologistes, certains groupuscules affectionnent l’action directe sans pesanteur organisationnelle (anti-pub, antivivisection, etc.), d’autres réseaux d’obédience anarchiste et antimondialisation peuvent choisir des modes de vie radicalement alternatifs (squatt, retour à la nature). Les partis politiques écologistes, quant à eux, impulsent de nouvelles orientations, relaient des préoccupations notamment environnementales. Tous ces acteurs interagissent, parfois se connaissent, se croisent au moment des grandes mobilisations fédératrices. Néanmoins, les ONG ont un profil tout à fait singulier et incontournable au niveau des négociations internationales. Tour à tour expertes mandatées par les institutions internationales (onusiennes) ou agitatrices maniant l’arme de la mobilisation de l’opinion publique, certaines savent jouer des deux registres tandis que d’autres, en raison de leur histoire, excellent dans l’un plutôt que dans l’autre. WWF, Sierra Club ou IUCN sont reconnus par leurs travaux d’expertise sur les questions de protection, tandis que Greenpeace ou Les Amis de la Terre ont une image de trublion qu’elles utilisent à dessein. Le paysage français de la défense de l’environnement à un niveau planétaire s’est trouvé, depuis le milieu des années 1990, transformé par l’action locale de ces ONG, nées outre-Atlantique, et par l’émergence d’un nouvel entrepreneur en mobilisation, Nicolas Hulot, qui reprend des registres d’action déjà éprouvés mais en y ajoutant son aura médiatique et son style personnel.

Au moment où commence la conférence de Copenhague, cet article se penche sur le dynamisme de la mobilisation écologiste qui, à force de persévérance, a réussi à imposer ses préoccupations sur les agendas internationaux. Les ONG, aux profils si variés, sont parvenues à impulser des orientations environnementales ambitieuses alors que les acteurs politiques locaux peinaient à exiger l’application de ces mesures internationales. Dans un contexte où les questions environnementales sont prises au sérieux par les opinions publiques nationales et où les bonnes volontés politiques s’affichent de toutes parts, les ONG doivent-elles renouveler leur positionnement ? En effet, de nouveaux acteurs se déclarent écologistes (entreprises) et d’autres se disent prêts à réformer dans ce sens (les dirigeants politiques). Par exemple, le style de la Fondation de Nicolas Hulot est-il Lire la suite

Noël Mamère : Écologie ou barbarie

ecolosphere.net, Noël Mamère, le 14 août 2009

Écologie ou barbarie

L’actualité récente vient de nous apporter de nouvelles preuves des liens indissociables entre les questions que soulèvent les écologistes et les droits de l’Homme : la dernière condamnation de Aung San Suu Khuy, par la junte Birmane et le coup d’État institutionnel du président du Niger qui vient de trafiquer sa Constitution pour rester plus longtemps au pouvoir. Quel rapport avec l’écologie ? Regardons d’un peu plus près : ces deux pays sont riches de matières premières qui intéressent les pays du Nord au plus haut point et la France en particulier ; le bois et le pétrole en Birmanie, l’uranium au Niger. Deux sociétés françaises sont concernées au premier chef : Total, l’un des plus gros investisseurs en Birmanie, pour l’exploitation des hydrocarbures ; Areva au Niger, pour l’extraction de l’uranium nécessaire à l’alimentation des centrales nucléaires. Selon la fédération internationale des droits de l’Homme, Total verse chaque année 140 millions d’euros de royalties à la junte qui fait aujourd’hui l’objet de l’indignation mondiale. Quant à Areva, elle remplit les caisses d’un régime qui opprime ses opposants et mène une répression sanglante contre les populations Touaregs, là où se trouvent justement les gisements d’uranium.

Voilà qui explique sans doute la tartufferie du président Français qui, au lendemain de la condamnation de la « dame de Rangoon », appelait à des sanctions « tout particulièrement dans le domaine de l’exploitation du bois et des rubis »… Mais qui s’empressait d’oublier le pétrole, pour mieux protéger Total et nos approvisionnements en hydrocarbures si nécessaires à notre société de consommation à outrance. Après le référendum truqué du 4 août au Niger, silence radio. Le président Tandja peut tricher tranquillement, torturer ses opposants, nous avons trop besoin de son uranium pour nos centrales nucléaires et pour affirmer haut et fort, sans craindre le mensonge d’État, que grâce à elles, nous sommes indépendants.

Autrement dit, pour poursuivre un mode de vie et de consommation, pour assumer des choix -comme le nucléaire-, qui n’ont jamais été débattus démocratiquement par la société, nous nourrissons des dictateurs sanguinaires, qui tuent des moines, enferment un prix Nobel, font travailler des enfants et conduisent des guerres contre leurs minorités ; nous sacrifions la liberté des peuples à nos intérêts mercantiles et à notre mode de développement. Au nom de la préservation de notre confort, nous sommes prêts à sacrifier les idéaux des Lumières. L’égoïsme est devenue la valeur dominante qui efface toutes les autres. Et c’est ainsi que progresse l’apartheid planétaire qui ruine les sociétés et menace la Terre elle-même, soumise à l’appétit insatiable des prédateurs sans foi ni loi. C’est pourtant dans ce monde que nous vivons, où les plus pauvres, les « damnés de la terre », voient leurs libertés de plus en plus menacées et leur survie de plus en plus incertaine ; où les victimes des injustices sociales et les plus démunis sont aussi les premières victimes des injustices environnementales ; où 20% des habitants de la planète consomment 80% de ses ressources. À cause de ces inégalités de plus en plus insupportables, de plus en plus révoltantes, la vulnérabilité du monde prospère et, avec elle, la montée des incertitudes, des peurs, des violences, symboles de la fragilité d’une puissance que nous pensions capable de tout maîtriser.

Ce monde-là est en faillite. Si nous tentons de le préserver tel qu’il est, nous courons tous à notre perte, riches comme pauvres ; l’avenir radieux que nous promettaient les Trente Glorieuses et, aujourd’hui la « croissance verte » – nouveau logo du capitalisme aux abois – virera au cauchemar. On ne peut donc s’accommoder de « bricolages » sur une maison lézardée ou de pansements verts appliqués à un grand corps malade. Le rétablissement d’un monde plus juste pour nos générations et celles qui vont nous suivre est au prix d’une Lire la suite

Yves Cochet : Anti-manuel d’écologie

actu-environnement.com, Camille Saïsset, le19 juin 2009

Anti-manuel d’écologie

Dans la série Anti-manuels, les éditions Bréal publient l’Anti-manuel d’écologie d’Yves Cochet. Un ouvrage entre science, philosophie et politique, qui offre au lecteur une fenêtre grande ouverte sur l’écologie politique.

AE : En librairie, on trouve votre ouvrage dans la rubrique d’écologie scientifique, le qualifiez-vous comme tel ?

YC : Non, c’est un livre qui expose toutes les facettes de l’écologie, pas exclusivement la science écologique. Il serait mieux dans la rubrique d’écologie politique, mais elle n’apparaît pas en librairie. Ce courant de pensée existe pourtant depuis longtemps. Quand René Dumont évoquait le changement climatique pendant la campagne présidentielle de 1974, les gens se demandaient de quoi il parlait. Il fait partie de ceux que je considère comme des déclencheurs de mon amour pour l’écologie, de même qu’Ivan Illich, André Gorz et Alexandre Grothendieck. Ce dernier était un mathématicien brillant de l’Institut des Hautes études scientifiques de Bures-sur-Yvette. Il a publié le bulletin écologiste « Survivre et Vivre » avant de décider de se retirer, en 1970.

AE : Au centre de votre réflexion, on perçoit une dimension particulière de la nature.

YC : En effet, dans la pensée occidentale et cartésienne, on a tendance à placer l’homme en surplomb de l’écosphère. Au contraire d’autres civilisations, il existe pour nous une différence et une distance incommensurable entre l’humanité et le reste, entre les activités et préoccupations humaines et la Terre que nous habitons. Or, en méprisant la nature en amont et en aval de l’économie, en l’évacuant de son domaine de pensée exceptée comme source de matières premières ou réceptacle des déchets et des pollutions, l’humanité sape les bases de sa propre vie. La base matérielle de notre richesse est fournie par la prodigalité de la nature, mais les décideurs politiques ne le comprennent pas. J’en fais l’expérience tous les jours à l’Hémicycle. La crise que nous vivons aujourd’hui est une catastrophe écologique née du déni de la nature.

AE : A la fin de votre ouvrage, vous projetez le lecteur à l’horizon 2022, pourquoi ?

YC : Cette année-là marquera le 50ème anniversaire du 1er sommet de la Terre qui s’est déroulé à Stockholm en 1972. Depuis, Lire la suite

De l’écologie politique dans la perspective de l’effondrement de civilisation

agoravox.fr, Hans Lefebvre, le 20 juin 2009

De l’écologie politique dans la perspective de l’effondrement de civilisation

Incontestablement, si le grand vainqueur des dernières élections européennes n’est autre que le parti des abstentionnistes, fait par ailleurs toujours inquiétant pour un processus démocratique, il nous faut constater que le score réalisé par la liste Europe Ecologie a permis de remettre en perspective l’écologie politique. Cette percée historique nous vaudra la formule opportune prononcée par l’ex-leader du mouvement de 1968 : « c’est le D-Day de l’écologie politique » ! Pour autant, est-ce à dire que les français d’une part, et les européens dans leur ensemble d’autre part tendent à devenir des écologistes convaincus, s’appropriant valablement l’engagement dans la voie de l’écologie politique ? À l’évidence, si la réponse reste complexe, n’est-il pas plus pertinent de nous questionner quant à l’avenir de cette proposition alternative vitale pour l’avenir de l’humanité, et cela plus particulièrement à la lumière de cet effondrement de civilisation annoncé.

Sans toutefois remonter aux philosophes de l’antiquité qui avaient pourtant déjà défini l’homme comme un être vivant parmi un ensemble complexe, c’est à l’aube de notre société industrielle que le philosophe Allemand Ernst von Haeckel définissait la notion d’écologie (1866) , posant ainsi les bases d’un concept qui allait devenir un enjeu majeur de notre société contemporaine.

Un siècle plus tard, le début des années soixante-dix marquait un tournant essentiel dans l’histoire [1] de la prise de conscience écologiste avec notamment la création du mouvement les amis de la terre (1969) et le fameux « appel de Menton » lancé aux Nations Unies par 2200 personnalités inquiètes des dangers induits par la société industrielle ( mai 1971). Puis, en 1972, sous l’impulsion du Club de Rome, créé en 1968, paraîtra le rapport Meadows & al (1972) [2] dont le propos était de définir l’impact du modèle productiviste sur le devenir de monde en posant déjà la question fondamentale des limites de la croissance avec, en point de mire, la problématique déjà pertinente de l’effondrement de ce modèle. Ce travail essentiel de modélisation, très contesté à l’époque notamment dans à sa proposition principale de « croissance zéro », mériterait selon certains contemporains d’être actualisé tant le propos était novateur, d’autant que les moyens informatiques actuels permettent d’envisager de nouveaux calculs bien plus vertigineux [3]. Cette même année eu lieu à Stockholm la première conférence des Nations Unies consacrée à l’environnement humain dont l’intelligente devise était « une seule Terre ».

En ces temps là, l’écologie politique faisait ses premiers pas audibles pour se répandre peu à peu dans le champ d’une certaine pensée politique engagée, marquant ainsi le début d’une lutte citoyenne active, comme un indispensable contrepoids à la dictature des deux idéologies productivistes dominantes (capitalisme et communisme).

En 1974, René Dumont faisait acte de candidature à l’élection présidentielle au nom de ce combat qu’il pressentait comme indispensable, affirmant avec la plus grande conviction que « la politique n ’appartient pas aux spécialistes. La politique vous appartient ». Avec à peine 1,3% des voix exprimées, l’auteur de « l’utopie ou la mort » [4] donnait corps à l’écologie politique, portant à la connaissance de la conscience collective ce choix désormais possible. Mais il était en avance sur son temps ce diable d’empêcheur de produire en rond, alors que la société issue des trente glorieuses était au plus loin de ce types de préoccupations. Agronome de formation, l’homme fut un des pionniers de ce combat politique avant-gardiste (il fut aussi un tiers-mondiste convaincu), dénonçant avec force le productivisme acharné du monde occidental hégémonique et sa quête absurde du toujours plus. La lucidité de son analyse était telle qu’elle vaut encore à ce-jour par son acuité remarquable, imprégnant largement tous les discours écologistes d’aujourd’hui.

Mais il ne fut pas le seul à s’inscrire dans cette perspective de l’écologie politique, puisque Ellul et son compatriote Charbonneau furent eux aussi des militants de la première heure de cette cause. Véritables précurseurs de cette préoccupation du vivre en harmonie avec notre support terrestre, alors que leurs contemporains n’entrevoyaient absolument pas les perspectives posées par ces intelligences précocement éveillées aux problématiques qui sont aujourd’hui en passe de s’imposer à l’ensemble de la société humaine. Ainsi, ils appartiennent à jamais à cette communauté de pensée qui n’a eu de cesse de croire à la possibilité d’un autre monde. Jacques Ellul, cet apôtre du développement local et néanmoins disciple de la frugalité, mesurait déjà le danger de l’automobile, cet objet technologique qui incarne à lui seul la révolution industrielle, devenu aujourd’hui ce véritable petit temple des vanités dont la sacralisation est synonyme d’asservissement. Loin de dénoncer le progrès technique, c’est surtout le rapport de l’homme à cette notion que le penseur émérite n’a eu de cesse de dénoncer car, en sacralisant la production de ce savoir technologique il se soumet. Quelle fulgurante réflexion nous confiait-il alors !

Aussi, par delà la critique du modèle productiviste industriel, le discours et la pensée écologiste ne manquent pas de remettre fondamentalement en cause le fonctionnement de nos systèmes démocratiques centralisateurs et bureaucratiques dont les effets pervers peuvent-être perceptibles par chacun. Ce tout (pouvoir économique, politique et technologique) qui mène le monde est parfaitement imbriqué et son entropie galopante pose la question encore une fois centrale de son effondrement sur lui-même. Certains intellectuels ont déjà théorisé cet effondrement de civilisation inévitable dont les contours apparaissent de plus en plus nettement. Mais, entre « l’inquiétante » rhétorique menée avec un certain talent par Jared Diamond dans son désormais célèbre ouvrage paru en 2006 [5], qualifié par ailleurs de néo-malthusianisme par certains contradicteurs [6], et une globalisation inévitablement inscrite dans le mouvement du monde, il est bien évident que l’humanité se trouve aujourd’hui dans une situation sans équivalent dans le déroulement de son histoire. Le point de rupture n’a jamais été aussi proche et nul catastrophisme ou autre millénarisme dans cette affirmation, point d’idéologie, mais juste un constat évident, incontestable, si prégnant qu’il a pénétré une part importante de la population au point de générer certaines évolutions notables, même si parfaitement insuffisantes. Parmi les quelques signes lisibles, il y a notamment le vote qui a eu lieu lors des élections du parlement européen, les sommets internationaux au chevet de la planète qui se multiplient, mais surtout une cohorte de mouvements citoyens engagés qui aspirent à construire un autre monde autour de ce que l’on nomme aujourd’hui l’altermondialisme. De fait, ce vaste « mouvement des mouvements », opposé à la mercantile mondialisation imposée par le capitalisme triomphant de la fin des années 90 [7], ne fait que capitaliser un héritage constitué de ces multiples pensées qui ont tenté d’éveiller le monde à son devenir forcément problématique au regard du chemin emprunté. Tout cela est maintenant absolument incontournable, et il n’est qu’à constater l’empressement de certains de nos décideurs à se convertir à la pensée verte pour mesurer combien l’écologie politique se fait indispensable.

Pour autant, le problème majeur des inégalités « nord-sud » demeure si prééminent que le fossé considérable qui sépare ces deux mondes doit s’inscrire comme la toute première urgence à prendre en considération tant l’équilibre global dépend de cette prémisse. Dans ce sens, il est de toute première urgence que l’avenir de ces régions du monde s’inscrive dans la logique du développement soutenable. Nos erreurs doivent ne pas être reproduites au risque d’amplifier les déséquilibres écologiques majeurs qui se dessinent à l’horizon. Ainsi, le continent africain doit se définir comme le laboratoire du seul modèle viable, il en va de l’intérêt général du monde. A titre d’exemple, le monde agricole africain devrait se construire sur les critères imposés par le cahier des charges de l’agriculture biologique comme l’exprime parfaitement le journaliste burundais Alexis Sinduhije dans un article récent consacré à la démocratie dans son pays [8]. Et cela n’est pas utopique, car l’utopie, pour reprendre une idée fondamentale émise par Jean Zin c’est de croire que notre mode de civilisation peut continuer ainsi ! Dans la droite ligne de la pensée d’André Gorz, dont il se veut porteur, cet auteur a commis un petit ouvrage diablement intelligent, parfaitement didactique et pragmatique, donc dépourvu de toute idéologie, consacré à l’écologie politique à l’ère de l’information [9]. Ce travail lumineux, diamétralement opposé aux démonstrations télévisuelles stériles et lénifiantes des tartuffes de l’écologie, contient nombre de solutions de bon sens qui, à terme, devraient logiquement s’imposer à cette nouvelle globalité humaine qui prend forme. Certes, l’exercice n’est pas si simple, mais gageons que le sens du vivant, dans sa totalité pleine [1O], finira bien par s’imposer à nous car il est ce mouvement perpétuel qui buissonne et tâtonne afin de perdurer [11]. Nul dessein intelligent derrière cela, nulle vision anthropique, mais juste la hantise du vide. A l’échelle individuelle, en décidant de combler ses vacuités au moyen de son ego surdimensionné, la consommation en bandoulière, l’homme a cessé de se projeter en choisissant de se réaliser dans l’instant, ne se résumant qu’à ce qu’il consomme égoïstement. Avec l’hégémonie du capitalisme, cette tendance est devenue loi, puis dogme.

S’il ne manquera pas à terme d’infléchir le basculement du monde vers une répartition plus juste du bien commun, le nouvel ordre mondial ne pourra naître que de l’effondrement total de l’ordre présent tant la vitesse dynamique acquise semble incontrôlable. De ce grand fracas chaotique devrait émerger la conscience globale de demain qui prononcera l’abolition de tous les principes qui menaient l’humanité jusque-là. Le local s’articulera au global, alors que les notions de profit, de spéculation et autre propriété privée seront consignées au rayon des archaïsmes dans les manuels d’histoire virtualisés. Dans un vaste mouvement de dématérialisation/déconsumérisation, l’humain deviendra ce véritable jardinier du vivant à jamais décentré, principalement préoccupé par la préservation/répartition du bien commun. Si d’aventure tel n’était pas le cas (selon une perspective pessimiste), et quoi qu’il advienne de notre espèce, la planète continuera sa ronde féconde autour de son étoile jusqu’à effondrement final, car pour cela nul besoin d’humain.

[1] Jean-paul Deléage, Une histoire de l’écologie, éditions du Seuil, 1994

[2] Donnela & Denis Meadows, Jorgen Randers, William Berhens, The Limits to Growth, Universe Books, 1972.

Version française : Halte à la croissance ? Rapport sur les limites de la croissance, éditions Fayard 1973.

[3] Jean-Marc Jancovici, Qu’y-a-t-il donc dans le rapport du « Club de Rome » ?

[4] René Dumont, L’utopie ou la mort, Le Seuil, 1973.

[5] Jared Diamond, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Gallimard, 2006.

[6] Daniel Tanuro, L’inquiétante pensée du mentor écologiste de M. Sarkozy, Le Monde Diplomatique, décembre 2007.

Lire la controverse suscitée par cet article.

[7] Emmanuel Allait, L’altermondialisme – Mouvance ou mouvement ? Editions Ellipses, 2007

[8]Alexis Sinduhije, Burundi, les tambours de la démocratie, Libération du 16 juin 2009.

[9] Jean Zin, L’écologie politique à l’ère de l’information, édition Ére, 2006.

[10] Christian Godin, La totalité, 6 volumes, éditions Champ Vallon, 2003

[11] Edgar Morin, La méthode, éditions du Seuil, 1977.

Hervé Kempf : En phase avec l’histoire

lemonde.fr, Hervé Kempf, le13 juin 09

En phase avec l’histoire

Une hirondelle ne fait pas le printemps, l’élection européenne est particulière, l’abstention était massive, la droite renforce sa majorité au Parlement européen. Certes. D’accord. Ja. Yes. Si. Oui.

Il est cependant légitime de penser que le bon résultat des écologistes aux élections européennes du 7 juin (environ 20 % en France si l’on n’oublie pas les 3,63 % de l’Alliance écologiste indépendante, qui s’ajoutent aux 16,28 % d’Europe Ecologie), légitime de penser, donc, qu’il ne s’agit pas d’un feu de paille ou d’un accident permis par des circonstances exceptionnelles.

Le long cheminement de l’écologie politique amorcé en 1974 avec René Dumont, marque malgré ses succès, rechutes, divisions, hésitations, une ascension régulière. Et le succès du 7 juin peut donc être pris pour ce qu’il est : l’accession à la maturité politique de l’écologie.

Premier point, le plus important : Europe Ecologie a gagné sur le terrain des idées. Reconnaissant pleinement la gravité de la crise écologique, la liste a su articuler ce constat à la question sociale. Ses propositions sur l’agriculture, l’énergie, la biodiversité s’emboîtent logiquement, en période de bouleversement économique, avec l’idée de conversion écologique de l’économie et avec celle d’un bouclier social visant à corriger les inégalités (revenu maximum). En fait, l’analyse de l’écologie politique correspond à la situation historique. A contrario, la chute du Parti socialiste découle de la décrépitude intellectuelle de ce parti, qui semble avoir arrêté de penser depuis… trop longtemps.

Cela signifie que l’avenir de l’écologie politique dépend de sa capacité à enrichir et faire vivre sa réflexion, notamment par rapport au souci de rendre la transformation écologique non seulement acceptable, mais désirable, par les classes moyennes et par les classes populaires.

Deuxième point : une pratique politique collective. Malgré la pression du système médiatique qui ne veut voir que des vedettes – et de préférence une seule -, le succès d’Europe Ecologie tient au fait que de fortes et diverses personnalités ont su travailler ensemble, démontrant cette évidence que dissimule la psychologie capitaliste : la coopération est plus efficace que la concurrence.

Troisième réussite, encore potentielle, et qui est une clé des succès à venir : ne pas réduire la démocratie à sa seule dimension de représentation, mais impliquer les citoyens dans Lire la suite

Le Bourghail à Pessac : Un printemps écocitoyen

Sud-Ouest, Willy Dallay, le 17 Avril 2009

PESSAC, BOURGAILH. Les festivités tournées vers la nature se dérouleront avec une préoccupation majeure : réduire l’impact sur l’environnement. Incitation à venir en bus, en tram, à vélo…

Un printemps écocitoyen

Du pot de fleur au pot d’échappement, il n’y a parfois qu’un tour de roue. C’est le paradoxe de toute manifestation consacrée à la nature et au développement durable. Surtout si elle rencontre le succès. Les organisateurs du Printemps du Bourgailh savent bien que les 10 000 visiteurs qu’ils accueillent sur deux jours, s’accompagnent de quelques voitures. « On en est conscient, c’est pourquoi à l’occasion de cette 5e édition, nous avons voulu réduire l’impact », explique Dominique Dumont, présidente de l’association Ecosite du Bourgailh. Et de mettre le doigt sur la quatrième de couverture de la plaquette. Les renseignements pratiques et les moyens de se rendre sur le site ont droit à une mention spéciale.

« Pour un geste écocitoyen, rendez-vous au Bourgailh, en bus, en tramway, à vélo (1) », peut-on y lire. Exit la traditionnelle référence à la rocade, pourtant proche, sauf sur le plan (sorties 12 et 13). À noter qu’à bicyclette, on peut s’offrir en prime une belle balade en forêt d’un côté (Magonty) comme de l’autre (Monbalon).

Marché aux plantes

Nouveauté de cette année, ce supplément d’écocitoyenneté se retrouve jusqu’aux toilettes (sèches) en passant par le tri des déchets et une consommation électrique économe via le transformateur du biogaz : « On évite ainsi le recours à un groupe électrogène, qui fonctionne avec un moteur, donc polluant », explique Laurent Rousserie, chargé de mission de l’association. « Il en restera un seul pour le marché aux plantes, juste pour cette année. »

Le marché aux plantes Lire la suite

DD : l’idéologie du XXIe siècle

scienceshumaines.com, Edwin Zaccaï, Grand dossier N° 14, mars 21009

Développement durable : l’idéologie du XXIe siècle

L’environnement est maintenant au centre des préoccupations politiques. De l’écologie profonde au mouvement de la décroissance, en passant par les promoteurs du développement durable, nombreux sont ceux qui souhaitent rompre avec les modes de consommation actuels.

«Une raison pour laquelle l’environnement a tant changé au XXe siècle est que – d’un point de vue écologique – les idées et politiques dominantes ont très peu changé», écrit John R. Mc Neill dans sa synthèse sur l’histoire environnementale (1). La primauté accordée à la croissance, la confiance dans les progrès techniques ou encore l’importance de la consommation ont eu des conséquences majeures sur l’environnement. À l’inverse, les effets réels de l’environnementalisme, qui se diffusera de plus en plus à partir des années 1960, resteront mineurs. L’écart entre l’impact des activités humaines sur l’environnement et les objectifs annoncés pour sa protection irriguera profondément l’environnementalisme. Il deviendra tour à tour dénonciateur, prophétique, moral, mais aussi pratique, mobilisateur ou politique.

Il est évident que de nombreux groupes humains ont par le passé modifié leur milieu, parfois à leur détriment. Depuis les Aborigènes d’Australie pratiquant un brûlis lourd de conséquences sur la faune et la flore, jusqu’à l’érosion massive de sols générant le Dust Bowl, ces tempêtes de poussière qui touchèrent pendant près d’une dizaine d’années la région des grandes plaines des États-Unis durant les années 1930, en passant par la déforestation des régions méditerranéennes dans l’Antiquité, la liste est longue et recouvre toutes les époques. Toutefois, l’impact de l’activité humaine sur l’environnement au XXe siècle reste sans précédent. Cette ampleur inédite est majoritairement due à deux facteurs: les capacités techniques et énergétiques (la consommation d’énergie a été multipliée par plus de 12 au XXe siècle) et l’augmentation de la population (multipliée par quatre durant la même période). De plus, le début de l’âge atomique augmente les préoccupations envers le pouvoir destructeur des techniques, tandis que la croissance démographique nourrit des raisonnements néomalthusiens.

Ces craintes latentes vont interagir avec les différents courants de l’écologie scientifique qui se sont élaborés à partir du milieu du XIXe siècle. Le mot œkologie, science des relations de l’organisme avec son environnement, est ainsi forgé dès 1866 par le biologiste Ernst Haeckel. Dans les décennies qui suivent, un certain nombre de scientifiques, que l’on nommera aussi écologues, élaboreront ce champ (2).

À la même époque, des aires protégées en vue de la conservation de la nature sont créées. Dans les pays colonisés, et singulièrement en Afrique, les milieux de chasseurs ainsi que l’agronomie tropicale influenceront durablement la vision de l’environnement et de sa protection. En Europe et aux États-Unis se constituent des sociétés de naturalistes, d’observation des oiseaux ou de pêcheurs, qui seront des noyaux actifs de l’environnementalisme. Un précurseur de l’éthique environnementale aux États-Unis, Aldo Leopold, perçoit dès la fin des années 1940 les potentialités que recèle le goût croissant d’une population de plus en plus urbaine et au pouvoir d’achat en augmentation pour des loisirs orientés vers la nature. Le sociologue américain Ronald Inglehart émettra quant à lui une théorie encore discutée aujourd’hui sur la montée de valeurs «immatérielles» dans les sociétés postindustrielles: les individus se tourneraient vers des biens dépassant la première nécessité et vers des valeurs nouvelles comme la protection de l’environnement. Mettant en lumière les impacts importants de l’usage des pesticides et appelant à de nouvelles régulations des techniques qui respectent les écosystèmes, la biologiste Rachel Carson publie en 1962 Printemps silencieux, livre à grand succès qui lancera l’environnementalisme aux États-Unis.

L’effet Mai 68

En France, on considère que c’est Mai 68 qui catalyse la naissance de l’écologie politique. Lire la suite

Yves Cochet : « La décroissance est inéluctable »

metrofrance.com, le 9 mars 2009

« La décroissance est inéluctable »

A l’occasion de la sortie « d’AntiManuel d’écologie », Yves Cochet, député Vert de Paris, a dialogué avec les metronautes.

Bienvenue aux internautes.

Malo : Bonjour. Pourquoi un « anti manuel », ça ne s’apprend pas l’écologie ?

L’écologie scientifique est une discipline universitaire. Mais mon « Anti manuel » a une ambition plus vaste : une vision du monde dans tous ses aspects, de la vie individuelle à la vie collective, du village à la planète.

Nature : C’est quoi le schéma si on continue comme ça?

Si « on continue comme cela », c’est-à-dire l’exploitation sans limites des humains et de la planète, on va dans le mur, très bientôt.

Pommedeterre : Vous prônez la décroissance… Comment imaginez-vous ce système ?
La décroissance est déjà commencée. Mais, peu de personnes l’ont anticipé. C’est pour cela que l’on va dans le mur. Mieux vaut la décroissance choisie, démocratique et solidaire, que la décroissance subie actuelle. De toute façon, qu’on le veuille ou non, la décroissance (de notre empreinte écologique, nous le milliard le plus riche) est inéluctable.

Je suis surtout effrayé par l’aveuglement des dirigeants économiques et politiques actuelles, englués dans des modèles du monde dépassés.

Nathy : Quelles sont les priorités environnementales aujourd’hui ?

Réduire les consommations d’énergie et de matières premières non renouvelables. C’est-à-dire, les trois quarts des richesses matérielles de notre mode de vie occidental insoutenable.

Naturelle : Comment mesure t’on son empreinte écologique?

En calculant les nombre d’hectares qu’il faut pour extraire les énergies et les matières qui nous font vivre, et recycler nos déchets après la consommation. Si toute l’humanité vivait comme les habitants de la France, il faudrait trois terres : c’est impossible, donc il nous faut décroître.

Verdâtre : Votre livre s’adresse à qui ? Il a l’air assez pointu quand même…
Il n’est pas « très grand public », mais il est pour tout public. C’est une invitation à la réflexion sur nos avenirs.

Truite : Chez vous, c’est chauffe-eau solaire, ampoules basse alimentation et tout le toutim ?

Oui. Mais cela ne suffit pas : ce n’est pas qu’une question de changement de technologie, c’est un changement de civilisation. Inutile de faire du solaire ou de l’éolien avec notre mode de vie occidental, ça ne marchera pas.

Alicia : Que pensez-vous de l’action d’Al Gore ? N’est-ce pas plus du show biz que de la véritable défense de l’environnement?

La démocratie et les médias sont essentiellement ambigus. Al Gore a frappé un grand coup avec son film, mais ses méthodes sont assez productivistes.

Honte : « Total » annonce 13-14 milliards d’euros de bénéfices pour 2008… Quand les politiques auront-ils enfin le courage d’instaurer une taxe, c’est scandaleux…
D’accord avec vous. Les députés Verts ont proposé un prélèvement exceptionnel de 5 milliards pour financer le basculement écologique de l’économie.

Tranche : Et le Grenelle: vrai progrès ou gros coup de com ? Lire la suite

le Musée du vivant veut montrer l’écologie

Le Monde, Brigitte Perucca, le 2 mars 2009

Des archives de René Dumont aux dérives idéologiques, le Musée du vivant veut montrer l’écologie dans toutes ses dimensions

Que faire quand on dispose de collections passionnantes, d’un concept en vogue et d’un conservateur en chef ? Un musée, évidemment. Pour Laurent Gervereau, depuis 2004 à la tête de la direction du patrimoine et de la documentation d’AgroParisTech, la grande école française d’agronomie, la réponse n’a pas fait le moindre doute. Encore moins quand, après enquête, il a découvert qu’il n’existait au monde aucun équivalent à ce Musée du vivant qui se veut « le premier musée international sur l’écologie et le développement durable« .

Si la première apparition du mot ökologie, sous la plume du biologiste allemand Ernst Haeckel, disciple de Darwin, remonte à 1866, celle de l’expression « développement durable » date de 1987. On en doit la définition à Gro Harlem Brundtland, ministre norvégienne de l’environnement dans les années 1970, puis directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au début des années 2000.

HISTOIRE INCONNUE

Un des mérites de ce jeune musée, qui se visite uniquement sur rendez-vous, est de fixer des repères, de débroussailler le terrain, et ce en montrant des oeuvres et des documents qui appartiennent à toutes les dimensions de l’écologie : scientifique forcément, politique bien sûr, mais aussi économique, pratique et culturelle, l’environnement ayant inspiré un grand nombre d’artistes. Entreposées plus qu’exposées au château de Grignon, dans les Yvelines, propriété de l’école, les collections brassent toutes ces dimensions.

« L’écologie a une vraie histoire, et cette histoire n’est pas du tout connue« , relève Laurent Gervereau. Qui se souvient, par exemple, de la Britannique Barbara Ward et du Français René Dubos (inventeur du concept « penser global, agir local »), co-auteurs, en 1972, d’un rapport intitulé Only one Earth (« une seule Terre ») présenté à l’occasion du Sommet de la terre de Stockholm ? Qui connaît la biologiste américaine Rachel Carson qui, dans son livre Silent Spring (« printemps silencieux »), paru en 1962, fut la première à évoquer la pollution massive provoquée par les pesticides ?

Riche au plan scientifique grâce à la vocation même de l’école d’agronomie dont il dépend (première maquette de moissonneuse-batteuse américaine, herbiers, boîtes entomologiques d’insectes, etc.), le musée retient surtout l’intérêt pour ses collections à dimension politique. De la collection intégrale de La Gueule ouverte, « le journal qui annonce la fin du monde », né en 1972, aux archives de René Dumont, pionnier de l’écologie politique en France, mais aussi étudiant puis professeur pendant plus de quarante ans à l’Institut national d’agronomie (ancêtre d’AgroParis Tech), en passant par une masse d’affiches militantes, la somme rassemblée est considérable.

Sans esprit « de propagande ni partisan« , insiste Laurent Gervereau, qui rejette l’idée d’un musée qui serait le reflet de « la construction triomphale d’une idée ». De l’écologie radicale aux mouvements aryens vantant la proximité à la nature, les excès suscités par l’idéologie du retour à la terre sont d’ailleurs aussi évoqués.

Forcément non exhaustif, le Musée du vivant se veut une mine pour la recherche. Avis en particulier à tous les chercheurs, dont l’intérêt envers René Dumont ne s’est pas encore manifesté, si l’on en croit M. le Conservateur : « Cherchez une thèse de référence sur René Dumont, il n’y en a pas ! », Lire la suite

Pascal Bruckner « La voiture : panne de libido ? »

Le Monde, Pascal Bruckner, le 27 février 2009

Psychanalyse de la crise

La voiture : panne de libido ?

Ce sont des milliers de carcasses neuves qui, partout en Europe et en Amérique, s’alignent sur des parkings, sous des hangars et attendent en vain un acheteur. Rien à voir avec les classiques cimetières de voitures, amas de tôles froissées, de châssis défoncés pourrissant dans une friche, tel le mythique Cadillac Ranch, sur la Route 66 aux Etats-Unis, monolithes de métal peinturlurés, fichés dans le sable du désert californien. Ceux-ci témoignaient de la vitalité d’une industrie qui semait derrière elle ses déchets.

Les cimetières d’aujourd’hui incarnent une panne du système. La crise accélère une désaffection grandissante envers l’automobile. Les 4 × 4 gourmands sont dénoncés aux Etats-Unis par les groupes évangélistes qui voient en eux les symboles d’une arrogance contraire aux enseignements du Christ ! Partout les grands constructeurs ferment des usines, réduisent la production, se déclarent en faillite, licencient à tour de bras. Fin d’un objet fétiche qui fut le héros du XXe siècle et créa dans son sillage tant de chefs-d’oeuvre, de petites merveilles de la mécanique.

Trois raisons expliquent cet abandon : l’automobile a incarné longtemps un rêve de liberté, celle de circuler à sa guise. Pour un monde longtemps immergé dans la ruralité, figé dans le temps et l’espace, elle parut un miracle. Rouler des nuits entières, partir sur un coup de tête, traverser la France, l’Europe, avaler des kilomètres pour le plaisir, ne dépendre de personne, tel est, tel fut l’attrait de ce moyen de transport. Personnalisation quasi érotique de la voiture, maison roulante que l’on emportait partout avec soi, incarnation sur roues de votre singularité. Ce rêve s’est écroulé lentement avec l’engorgement des villes, des routes, des autoroutes : si chaque Français, Belge, Américain possède son véhicule, il sera peut-être un heureux propriétaire mais il ne pourra plus circuler.

L’effet démultiplicateur de la démographie périme le droit à la mobilité. Merveilleuse tant qu’elle était réservée à une minorité, la voiture, popularisée, se transforme en cauchemar, fait de chaque conducteur le prisonnier de son véhicule, dispendieux qui plus est. Fin de la vitesse, généralisation de l’embouteillage, de l’accident dont témoignent tant d’oeuvres littéraires ou cinématographiques.

ALIÉNATION ET INERTIE

« Démocratie, a très bien dit l’écrivain Roberto Calasso : l’accession de tous à des biens qui n’existent plus. » Ajoutons à ce discrédit le renchérissement des coûts du pétrole et surtout l’anathème porté par le discours écologiste sur cette industrie, polluante et encombrante. Symbole d’affranchissement, la voiture est devenue symbole d’aliénation et d’inertie. Le bolide qui dévorait l’espace s’est enlisé dans une coagulation généralisée. La merveilleuse auto s’est transformée en bagnole, poubelle bruyante dont on se détourne avec horreur.

Il ne s’agit pas d’une simple mise au régime, d’une diète provisoire avant de reprendre l’orgie : c’est vraiment la conclusion d’un cycle. Bien sûr, on construira toujours des voitures, mais propres, électriques, petites, n’émettant aucun gaz carbonique et rechargeables sur des prises à haut débit. La Californie commercialise depuis quelques années le Tesla Roadster, une décapotable propre, plébiscitée par les stars, et Bertrand Delanoë lancera bientôt à Paris un système Auto-lib’ sur le modèle du Velib’ : de petits véhicules électriques empruntables à l’heure ou à la journée. Nous serons tous des « écocitoyens responsables », nous prendrons le bus, le tramway, le métro, nous cesserons de financer, par notre gloutonnerie de pétrole, des dictatures sanguinaires ou des régimes oppresseurs.

Mais qu’est-ce qu’une voiture qui n’est ni voyante, ni polluante, ni tapageuse ? Lire la suite

Les Verts : la fin d’un cycle et ses raisons

ecorev.org, André Gattolin, le 9 janvier 2009

Les Verts : la fin d’un cycle et ses raisons

L’histoire des Verts montre comment la reprise des thématiques du tiers-mondisme et de l’anti-nucléaire ont prévalu à l’émergence des thèmes de l’écologie politique en France, dans les années 70. André Gattolin, spécialiste des médias, ancien directeur des études et actuellement en cours de rédaction d’une thèse sur l’activisme et le « hoax » revient sur la façon dont le parti écologiste a perdu ces thèmes et son substrat environnementaliste, sans pour autant réussir à renouveler ses soutiens au sein des nouvelles formes d’activisme. Conséquemment, il estime que le « tout-électoralisme » qui occupe Les Verts depuis des années serait à l’origine de la perte d’une base sociale et militante qui lui serait nécessaire pour devenir une force politique importante.

En 1974, l’écologie fit une entrée remarquée sur la scène politique française grâce aux 1,32 % obtenus par René Dumont à l’élection présidentielle. À l’époque, la mouvance écologiste, déjà florissante aux Etats-Unis, était encore balbutiante en Europe. En France, on se préoccupait fort peu des questions environnementales : le pays vivait dans l’état de choc (pétrolier) et pleurait la fin de trois décennies de croissance élevée de la production industrielle et de la consommation des ménages.

Mai 2007, la candidate des Verts, malgré sa notoriété, parvient péniblement à rassembler 1,57 % des voix. Plus qu’un désaveu personnel, c’est un terrible échec pour un parti en pleine ascension voilà encore peu. D’autant que les législatives de juin, loin d’infirmer la tendance, sont venues entériner le reflux. La prise de conscience écologique n’a pourtant jamais été aussi forte qu’au cours de ces dernières années. La consommation de produits bio connaît un véritable essor, les réflexes écologiques rentrent dans les habitudes quotidiennes des citoyens et même de certaines entreprises, les ONG environnementalistes jouissent d’un flux incessant de nouveaux adhérents et les green technologies suscitent aujourd’hui dans les milieux économiques un intérêt comparable à Internet à la fin des années 90. Quant à la campagne électorale proprement dite, on ne peut nier la place de choix occupée par la question du réchauffement climatique.

Les explications généralement en usage chez les Verts pour justifier la défaite ne tiennent guère. L’argument de la concurrence et de la multiplication des candidatures n’est pas recevable : Dominique Voynet était cette fois-ci l’unique compétitrice de la famille écolo, et les piètres résultats de Bové, Laguiller et Buffet ne permettent pas de comprendre l’évaporation de l’électorat vert. Quant à la thèse du « vote utile » en faveur du parti socialiste, elle est à double tranchant : elle revient à reconnaître implicitement le caractère peu attractif et faiblement distinctif du vote vert. Croire les Verts victimes pour l’essentiel d’un « effet 21 avril » ou de la volonté des électeurs de faire barrage à Sarkozy est une manière habile mais dangereuse de se masquer la réalité. Lors des législatives de 2002 et dépit de la forte bipolarisation PS-RPR qui avait résulté de l’échec de Jospin à la présidentielle, les candidats Verts avaient réussi à rassembler 4,51 % des voix avec une présence limitée à un peu plus des trois quarts des circonscriptions.

Loin d’être réductible à un phénomène conjoncturel, cette suite de revers entérine la fin d’une époque durant laquelle les Verts, malgré un effectif groupusculaire, parvenaient à prospérer électoralement et jouissaient en tant que parti d’une exceptionnelle sympathie au sein de l’opinion. Ces temps-là semblent révolus et l’image de la formation s’est dégradée. Contrairement aux Grünen (Allemagne) et à Écolo (Belgique francophone), les Verts n’ont pas su tirer profit de leur cure forcée d’opposition, et ils semblent balayés par la nouvelle donne politique instaurée par la présidentielle. Lire la suite

Figures de l’écologie politique

Figures de l’écologie politique

Pour fêter ses cinq ans, la revue EcoRev’ a préparé un dossier exceptionnel de 112 pages, une galerie de portraits des femmes, des hommes, des mouvements et événements qui ont fait avancer la cause et les idées de l’écologie. Dont le Larzac.

Ce numéro 21 d’EcoRev’ de 112 pages, intitulé « Figures de l’écologie politique », est constitué de textes fondateurs ou inédits et d’entretiens….

EcoRev’ n°21 est en vente au prix exceptionnel lui aussi de 8 euros. Un numéro disponible en librairie (voir les adresses sur notre site http://ecorev.org/article.php3?id_a…), auprès de notre diffuseur Co-errances (01 40 05 04 24, http://www.co-errances.org) ou directement à EcoRev’ (08 73 61 85 39, 22 villa des Sizerins, 75019 Paris).

L’abonnement (un an 4 numéros) est toujours au prix dérisoire de 20 euros (12 pour les fauché-e-s, 30 à l’étranger).

Au sommaire (http://ecorev.org) …

Petite préhistoire discutable de l’écologie politique, La force révolutionnaire de l’écologie ­ Cornélius Castoriadis, Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, L’histoire des besoins – Ivan Illich , Rachel Carson, Hans Jonas, L’utopie de la science et des techniques – Herbert Marcuse, Ralph Nader, Ni bête, ni méchant : l’aventure de Hara Kiri, Charlie Hebdo et la Gueule Ouverte – Entretien avec Cavanna, Serge Moscovici, La Hulotte, canard des terriers, Les Amis de la Terre, René Dumont, Actuel, Solange Fernex & Didier Anger, Plogoff, René Passet, Portrait d’A. Lipietz par Alain L., De Marx à la décroissance – Entretien avec Serge Latouche, Pierre Rabhi, Le mouvement anti-nucléaire en Allemagne et en France – Photos H.Schultze, Murray Bookchin, La Confédération paysanne, Larzac-Millau, Les faucheurs volontaires, Anti-castors & Reclaim the streets, Bhopal, Greenpeace, La nuit de Kyoto, De l’amiante à REACH, Vandana Shiva, Wangari Maathai, Pour une spiritualité militante ­ Starhawk, Qu’est ce que l’écosophie ? – Félix Guattari, L’écologie, une éthique de la libération – Entretien avec André Gorz, Marées noires – Photothèque LPO

Revue écologiste de réflexion et de débats fondée en 1999, EcoRev’ est un outil au service des acteurs et actrices des luttes pour la transformation sociale et écologiste à l’échelle planétaire, Lire la suite

Le « verdissement » de l’opinion publique

Jean-Paul Bozonnet dans Sciences Humaines N° 40 de juillet/août 2005

Si l’écologisme a fluctué au cours des trente dernières années, le consensus autour des questions environnementales est toujours solide. Seules les formes d’engagement et la sociologie des militants semblent s’être transformées.

Une légende contemporaine attribue volontiers la paternité de l’écologisme au grand chef indien Seattle ; les historiens des idées, comme Luc Ferry, souvent moins bien intentionnés, en découvrent les prémices dans les procès médiévaux contre les animaux ou dans le régime hitlérien. Ils font remonter l’écologisme loin dans le passé, aux romantiques, à Jean-Jacques Rousseau, et même à François d’Assise : en fait, ces reconstructions téléologiques ignorent la spécificité de cette pensée contemporaine qui naît à la fin des années 60. C’est en effet en 1962 que Rachel Carson, avec Le Printemps silencieux, sensibilise l’opinion publique américaine aux agressions chimiques. Puis en 1971, Barry Commoner, dans son ouvrage fondateur, L’Encerclement, élargit le propos à la société industrielle entière et vulgarise l’écologie politique. Enfin, en 1972, le Club de Rome avertit solennellement l’opinion mondiale des « limites de la croissance » et des catastrophes écologiques à venir, prophétie vite réalisée par la crise du pétrole.

L’écologisme est alors pleinement constitué et très largement diffusé dans les opinions publiques occidentales. Lire la suite

Les premiers combats écolos de France

Montage diffusé sur France-Inter le dimanche 17 août dans « Mémo » de Simon Tivolle.

Un des grands évènements de l’année a été, l’automne dernier, le Grenelle de l’environnement. Cela m’a donné envie de faire un petit voyage aux sources de la planète verte, et d’aller écouter ce que j’appelle « l’écologie de papa »… les premiers combats des défenseurs de la nature…

En 1974, René Dumont est candidat à l’élection présidentielle. Un verre d’eau à la main, pull rouge à col roulé et cheveux argentés, cet agronome de 70 ans n’a même pas obtenu 1,5% des suffrages, mais il a marqué les esprits et c’est lui qui a lancé l’écologie politique en France.

Dans les turbulences de l’après-68, il y a deux grandes causes plus ou moins écolo Lire la suite