Du communisme à l’écologie

naturavox.fr, Jean Zin, lundi 27 avril 2009

Du communisme à l’écologie

Dans ces temps de bouleversement où c’est la réalité qui redevient révolutionnaire, on assiste partout au retour du commun, depuis si longtemps totalement discrédité pourtant par l’idéologie néolibérale. La glorification de l’individu avait atteint de tels sommets qu’on ne peut que se réjouir de l’éclatement de cette bulle narcissique et du retour, vital, à la réalité de nos interdépendances et solidarités collectives. On peut craindre cependant que selon une stricte logique dialectique, on s’emporte à réduire un peu trop du coup la part de l’individu au nom d’une communauté retrouvée.

Pourtant de simples considérations matérielles devraient mener à l’abandon des anciennes idéologies au profit d’une écologie-politique constituant une réponse bien plus adaptée à notre époque en se confrontant aux défis planétaires tout en restant attentive aux diversités locales, effectuant ainsi une synthèse de l’individu et du collectif plus équilibrée, moins centralisée, moins idéologique, plus objective enfin.

Il y a quelque chose à la fois d’inévitable et de pathétique à voir resurgir « l’hypothèse communiste » à la faveur de la crise, que ce soit dans le revival d’un ancien groupuscule ou par quelques philosophes révolutionnaires « sur le retour » qui n’ont plus grand chose de matérialistes en tout cas, et de dialectique encore moins. Bien sûr, l’affirmation d’une continuité des mouvements révolutionnaire est indispensable, on peut arguer avec quelques raisons qu’on ne saurait abandonner un idéal qui a été revendiqué par une si grande partie de l’humanité et qui a produit de grandes œuvres sinon quelques hauts faits, sauf que c’est un peu trop oublier sa part négative et les dures leçons de l’histoire.

Assez régulièrement dans la période précédente certains, se méfiant d’un anti-libéralisme trop étatiste, refusaient, avec quelques raisons là aussi, de laisser le libéralisme à la droite au nom de la défense des libertés qui est portée depuis toujours par la gauche. Je répondais invariablement que c’était une erreur de ne pas tenir compte du fait que la liberté puisse être contradictoire et porter sa propre négation en servant à masquer l’oppression. C’était encore ne pas tenir compte des leçons de l’histoire que de reprendre ce terme de libéralisme comme s’il n’avait pas été déconsidéré par son hégémonie idéologique avec toutes ses conséquences économiques et sociales, avant même le désastre actuel.

C’est au nom de la liberté qu’il faut être anti-libéral, de même, c’est au nom de ce que nous avons de commun qu’il faut rester anti-communistes et au nom de la démocratie qu’il faut remplacer cette démocratie compétitive et élitiste par une démocratie plus démocratique ! Il serait un peu stupide de retomber toujours dans les mêmes ornières. Bien sûr, on ne peut se réduire à être anti-libéral et anti-communiste (anti-fasciste, etc.). C’est bien pour cela qu’il faut s’affirmer écologistes où la synthèse peut s’opérer de l’individu et du collectif en valorisant la différence autant que la solidarité de tous. André Gorz a toujours voulu situer cette écologie-politique dans la continuité du mouvement ouvrier et des luttes sociales dont on peut dire qu’elles sont parvenues, avec l’écologie, au stade réflexif caractérisant les sociétés post-modernes. Bien sûr, ce n’est pas l’écologie des amoureux de la nature mais de la responsabilité collective et de l’autonomie individuelle, une écologie encore très minoritaire mais que le basculement de la gauche de transformation sociale dans l’écologie pourrait rééquilibrer radicalement plutôt que de s’égarer vainement dans un passé révolu.

Il y a certes plusieurs écologies : des écologies de droite autoritaires, des écologies de marché libérales et des écologies alternatives qu’on peut dire révolutionnaires. J’employais beaucoup le terme de révolutionnaire lorsqu’il était passé de mode, en insistant sur son caractère cyclique (et son retour prochain). J’hésite un peu plus à l’employer désormais car je n’ai pas de l’écologie révolutionnaire une conception romantique mais au contraire très concrète alors qu’on assiste plutôt au retour des utopies. Pourtant, contrairement aux années 1960, années de la subjectivité triomphante et de la société de consommation, il ne s’agit plus tant de rêver à quelque monde merveilleux mais de se sortir au mieux de l’impasse dans laquelle nous nous sommes mis, de prendre conscience du négatif de notre industrie et des effets globaux de conduites individuelles ou locales. On ne pourra s’en sortir qu’en redistribuant les cartes sociales mais surtout par une transformation radicale de modes de production qui devront être plus soutenables, en profitant des potentialités du travail immatériel à l’ère du numérique pour, notamment, relocaliser l’économie mais aussi assurer un véritable droit à l’existence, passage de la sécurité sociale au développement humain et du travail forcé au travail choisi. Pas de quoi susciter des élans révolutionnaires sans doute, il n’y a rien de grandiose dans le triptyque « Revenu garanti, coopératives municipales et monnaies locales » mais c’est bien sur ce niveau local d’une écologie municipale (et non pas de communautés choisies) que reposera une économie relocalisée, pouvoir à reconquérir sur notre propre vie et notre environnement, pouvoir de la commune retrouvé.

Il n’y a rien de plus matérialiste que l’écologie. Il ne s’agit pas de croire qu’on pourrait faire n’importe quoi et que n’importe quelle utopie serait légitime ni qu’on pourrait produire un quelconque homme nouveau mais au contraire de prendre conscience de toutes nos limites révélées par l’histoire comme par les dérèglements écologiques. Il n’y a pas tant que ça de possibilités ouvertes devant nous alors que les menaces s’amoncellent et nous n’avons pas le droit à l’échec. C’est pour cela qu’il faut partir des échecs précédents, du peu d’espoir qu’ils nous laissent. L’échec ne doit pas mener au renoncement, sans persister dans l’entêtement non plus. L’écologie sera peut-être un jour déconsidérée elle aussi par ses échecs, ou déjà par ses partisans, cela n’empêche pas que ce soit la seule réponse qu’on peut donner aujourd’hui, le seul espoir raisonnable, la seule alternative à notre portée, à condition bien sûr que le mouvement social s’en empare marginalisant les farfelus, technocrates et technophobes. Plutôt que de rester enfermés avec les fantômes du passé ou de se griser de gros mots et de grandes phrases, nous avons à construire avec prudence le monde de demain, une écologie de l’avenir qui n’est pas gagnée d’avance mais qui pourrait préserver à la fois notre autonomie mieux que le libéralisme et nos biens communs mieux que le communisme. Il y a urgence.

On peut voir aussi : L’écologie-politique, avenir de la gauche (10/2007).

 

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