Le silence des nanos : Utop Bx le 3 mars, Bègles le 4 et Talence le 5

Sud-ouest, NC, Mardi 03 Mars 2009

SCIENCE. Les nanotechnologies se sont glissées dans nos vies. Pour le meilleur ou pour le pire ?

La grande controverse du minuscule

La Nano. C’est le nom choisi par le constructeur indien Tata pour baptiser sa prochaine voiture, et c’est un signe. Nano, comme « nano technologies », ou « nanosciences » (NST) est un mot à la mode. Ou qui doit le devenir. Mais c’est déjà une réalité bien présente : les nano-particules se sont déjà glissées dans plus d’une centaine de produits plus ou moins courants, de l’électronique grand public aux cosmétiques et aux médicaments, en passant par la peinture en bâtiment, le béton ou la chirurgie. Elles sont dans les laboratoires de recherche, mais aussi au supermarché.

C’est une « révolution en cours, qui va transformer la société, l’économie, l’environnement, les relations entre les hommes, autant que l’informatique et l’Internet », affirme Clément Rossignol.

Un documentaire

Il est chercheur au laboratoire de mécanique physique de Talence, et a fait son quotidien de ce domaine du minuscule. Par ailleurs élu Vert à Bègles, il est de ceux qui estiment urgent que ladite révolution sorte des cénacles de la science et de l’industrie, pour être expliquée et débattue sur la place publique.

Avec lui, Benjamin Caillard, du laboratoire d’intégration des matériaux et systèmes, le docteur Annie Sasco, directrice de recherche en épidémiologie du cancer à l’Inserm, et Olivier Sigaut, chercheur en sciences sociales et professeur à Sciences Po, sont parmi les organisateurs de trois présentations cette semaine à Bordeaux, Bègles et Talence (1) du « Silence des nanos », documentaire de Julien Colin.

Eldorado et santé publique

« Nano » est le préfixe tiré du nom que les mathématiciens ont donné au milliardième de mètre, le nanomètre. C’est l’échelle de l’atome, brique élémentaire de la matière, vivante ou non. Les NST ont découvert un monde aux propriétés physiques insoupçonnées, exploitables dans des domaines innombrables (lire aussi Sud Ouest du 2 mars). Un Eldorado technologique du XXIe siècle.

Ce sont notamment les effets possibles des nano-particules en matière d’environnement et de santé publique qui préoccupent le quatuor, qui tire exemple de l’amiante, Tchernobyl ou de la querelle sur la téléphonie mobile. « Avant les problèmes, on nous dit : on ne peut pas savoir si c’est dangereux, il ne faut pas affoler les gens. Après, on nous dit : c’est trop tard pour arrêter. À quel moment est-on un citoyen responsable ? » résume Benjamin Caillard.

Annie Sasco : « Est-ce que les nano-matériaux sont dangereux ? Aujourd’hui, c’est trop récent pour avoir le recul nécessaire », convient l’épidémiologiste. « Mais, poursuit-elle, on a l’expérience des effets des particules fines et ultrafines présentes depuis longtemps dans l’air. De la même façon qu’elles, les nanoparticules en raison de leur toute petite taille ont tendance à se disséminer dans le corps, à rester dans des recoins, souvent pulmonaires. En général, cela entraîne une inflammation, une accélération de la reproduction cellulaire, qui peut aboutir à un cancer ou à des phénomènes d’athérosclérose. Il est logique de penser que les nanos particules peuvent produire les mêmes effets. Il y a eu quelques expériences sur des rongeurs. Et le rat est proche de l’humain de ce point de vue ! »

Mais les travaux sont rares, donc pas encore scientifiquement décisifs. Comme trop souvent, les industriels vont plus vite que la recherche d’une toxicité éventuelle. « Si on n’a pas une recherche publique capable d’évaluer les effets secondaires, on n’aura jamais les données », avance Annie Sasco.

Vide juridique

L’agence française de sécurité sanitaire et de l’environnement du travail (Afsset), évoque dans un rapport des « dangers potentiels » identifiés « pour une exposition par voie cutanée, par ingestion ou, par inhalation ». Olivier Sigaut cite une usine de peinture en spray, au Maghreb, où des décès suspects ont été étudiés. Faute de « méthodes de mesures adaptées aux nano-matériaux », l’Afsset recommande des « bonnes pratiques » pour les salariés en contact avec ces matériaux.

Comme les textes qui encadrent la mise sur le marché des produits chimiques et des médicaments ne prennent pas en compte les nano-matériaux, il y a « un vide juridique », déplore Clément Rossignol.

Coût, bénéfice et philo

Bref, le débat s’impose aux yeux des quatre chercheurs. Avec le grand public. Ils savent la tâche compliquée. Parce que le sujet l’est. Parce que les enjeux économiques sont énormes et planétaires. Et parce que le bénéfice potentiel des nano matériaux est indéniable.

Clément Rossignol : « Par exemple, avec des nanofiltres, on peut imaginer des eaux dépolluées presque parfaitement. Au risque d’oublier la lutte contre la dissémination des polluants. On va faire des bistouris toujours stériles, du béton toujours blanc, des voitures plus légères et moins énergivores. Des avantages incontestables. Mais pour les inconvénients possibles, on n’a pas de certitudes, parce qu’il n’y a pas de volonté de savoir en terme de santé publique, de toxicité, d’accumulation dans l’être humain, l’environnement ou la chaîne alimentaire_».

Les quatre chercheurs militent pour qu’on prenne le temps de peser les choses. « De les penser », prolonge Olivier Sigaut, « au-delà du rapport entre coûts et bénéfices ». Il y réclame la part des sciences sociales et de la philosophie.

La santé publique n’est pas seule en cause pour ces chercheurs. La possibilité de « pucer les gens » grâce aux NST pose aussi des questions sur les libertés.

Et au-delà des premières applications industrielles, les « nanosystèmes complexes » promis par les chercheurs, théoriquement capables de transformer profondément le vivant et l’humain, ouvrent des questions éthiques autrement vertigineuses.

(1) Projections au cinéma Utopia à Bordeaux aujourd’hui mardi 3 mars à 20 h 30, à Bègles salle Paul-Langevin mercredi 4 à 20 heures, jeudi 5 à 17 h 30 à Talence (Bordeaux-1) avec un documentaire réalisé par des étudiants.

Les atouts de la recherche bordelaise et régionale

Les nanosciences occupent aussi bien des physiciens, chimistes, biologistes, informaticiens, ou technologues. Pour cordonner ces disciplines traditionnellement cloisonnées et leur trouver « un langage commun », le ministère de la recherche et le CNRS ont construit un réseau national C-Nano. Le directeur pour le grand Sud-Ouest (du Languedoc-Roussillon à l’Aquitaine) est Jean-Pierre Aymé, du laboratoire de physique moléculaire, optique et hertzien de Talence. 900 chercheurs de quatre universités, autant d’écoles d’ingénieurs et 42 laboratoires sont affiliés à C-Nano grand Sud-Ouest. Dont une quinzaine de laboratoires et instituts du campus de Bordeaux.

« Ce qui nous identifie ici, explique Jean-Pierre Aymé, c’est à la fois les systèmes bio-mimétiques et bio-inspirés, la capacité à faire des objets hybrides organiques et inorganiques, et d’analyser ces systèmes ».

Il s’agit par exemple de décrire avec la précision de l’atome les « moteurs biologiques » naturels, qui produisent l’énergie du corps humain, puis de les copier, ou de s’en inspirer pour construire des nano-systèmes aux applications multiples. Ou bien d’utiliser des fragments d’ADN comme matériau pour construire des vecteurs nanométriques de lutte contre le virus du sida ou des cellules cancéreuses.

« Mais, explique Jean-Pierre Aymé, c’est encore dans les laboratoires pour longtemps. C’est extrêmement complexe ». Et même ce chercheur impliqué dans l’institution et passionné par les nanosciences souhaite que le débat public s’engage. « Une grande partie de la population scientifique est très consciente des limites de ses propres savoirs. Et pense qu’il faut définir des règles, des cadres dans lesquels on accepte de travailler ».

 

3 Réponses

  1. […] publiquement. Benjamin Caillard, du Laboratoire d’intégration des matériaux et systèmes, rappelait ainsi à Sud Ouest qu’”avant les problèmes, on nous dit : on ne peut pas savoir si […]

  2. […] publiquement. Benjamin Caillard, du Laboratoire d’intégration des matériaux et systèmes, rappelait ainsi à Sud Ouest qu’”avant les problèmes, on nous dit : on ne peut pas savoir si […]

  3. Marre de certains écolos intégristes technophobes dont les idées en matière de progrès industrielle et de recherche scientifique sont démagogiques à l’instar de gens comme Pièces et Main d’Oeuvre Et dire qu’il y aussi des écolos politiques et militants bien-pensants que ça soient Greenpeace ou un parti comme EELV qui surfent sur une vague technosceptique. C’est peu crédible on avance pas vraiment et c’est plutôt inquiétant surtout que l’extrême droite est majoritairement technophobe et instrumentalise ces thèmes.

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