Harald Welzer : Les nouvelles guerres seront climatiques

mediapart.fr, Jacques Dubois, le 15 Décembre 2009

Harald Welzer : Les nouvelles guerres seront climatiques

Dans Les Guerres du climat, Harald Welzer, psychosociologue et quelque peu géopolitiste, poursuit ses investigations sur la violence de masse de l’époque moderne. Mais à celle-ci il donne une actualité particulière en l’inscrivant au cœur de la crise climatique que vit notre planète. En fait, pour lui, de nouvelles formes de guerre vont marquer le XXIe siècle, qui seront particulièrement destructrices et qui vont aggraver ce que Welzer nomme l’asymétrie de notre univers, celle des pays riches face aux pays pauvres.

S’il peut ainsi jeter le pont entre un désastre écologique, qu’il tient pour gravissime, et la violence, c’est qu’il considère le premier sous un angle résolument social — mais culturel aussi, ainsi qu’on verra. Et cela donne un ouvrage certes alarmant mais tout autant passionnant en ce qu’il renouvelle largement le discours écologique habituel. Donc à lire de toute urgence.

Welzer a pour thème de départ la violence de masse. C’est pourquoi il remonte à l’Holocauste ou encore aux génocides rwandais ou bosniaque. Il y allait déjà, note-t-il, de l’élimination d’excédents de population. Or, l’extermination des Juifs n’est pas à lire comme un « retour à la barbarie » mais avant tout comme le produit d’une haute technicité qui permet d’éliminer des milliers de personnes rapidement et, si l’on ose dire, proprement. Ce qui donne valeur paradigmatique à cette violence abominable. Mais ce qui la rend encore « exemplaire », c’est que la population allemande s’est progressivement accommodée de la disparition massive d’une de ses composantes. Cela s’est mis sans retard à aller de soi. Et de même pour les hutus s’accoutumant sans mal à massacrer des voisins tutsis avec lesquels leurs relations étaient bonnes jusque là. Donc violence massifiée par la technique, conjointe avec une accoutumance collective au pire. Voilà le modèle que les catastrophes climatiques vont relancer de plus en plus en notre siècle.

Ici il faut partir de la détérioration de l’écosystème : déforestation et désertification, raréfaction du sol et de l’eau, épuisement des ressources énergétiques, réchauffement généralisé. Conséquence inévitable : les pays qui sont les plus atteints, c’est-à-dire les pauvres, sont aussi les plus mal équipés pour trouver des solutions protectrices ou novatrices. Dès lors, des conflits pour la possession des biens rares surviennent forcément entre groupes différents à l’intérieur d’une même zone. Par ailleurs, les phénomènes migratoires vont se multipliant : des groupes se réfugient là où des ressources subsistent et se heurtent aux populations indigènes ; de l’autre et plus individuellement, un certain nombre de gens tentent d’accéder aux pays riches avec tous les aléas de l’aventure. Dans tous les cas se dessine un horizon de misère qui atteint désormais des États entiers. On estime que trente de ces pays, pour la plupart africains, sont en voie de disparition.

Pour ce qui est des conflits internes, le Darfour est emblématique des  guerres climatiques à venir et qui marqueront le XXIe siècle. Un des aspects de ces drames est la création d’un marché de la violence où les États ne sont plus guère en mesure de jouer un rôle. Y interviennent des armées régulières mal contrôlées, des groupes paramilitaires, des unités d’autodéfense, des « prestataires privés ». Beaucoup de ces soldats étant peu ou pas payés se rétribuent sur l’habitant. Et l’on sait ce que cela veut dire.

Quant aux mouvements migratoires vers les pays riches, la grande affaire pour ces derniers est de faire pièce à ces nouvelles invasions. Ce sont les États-Unis dressant un mur entre eux et le Mexique. C’est l’Europe et l’apparition d’une agence Frontex chargée d’exercer une police anti-migratoire aux frontières et par-delà celles-ci. L’un des moyens mis en œuvre pour freiner l’immigration du côté européen est la création de camp d’accueil et de refoulement dans des pays de transit. Ainsi de ces camps en Libye qui rassembleraient plus d’un demi-million d’immigrants attendant de passer en Italie ou à Malte. Beaucoup sont renvoyés chez eux ou se voient vraisemblablement abandonnés dans le désert.

Pour en revenir à l’évolution écologique, Welzer reprend la théorie des « shifting baselines », voulant que « les hommes considèrent toujours comme “naturel“ l’état de leur environnement qui coïncide avec la durée de leur vie et de leur expérience. » (p. 225). Il en résulte aujourd’hui de terribles illusions d’optique. Ainsi, en peu d’années, les tornades ravageuses et autres tsunamis sont devenus des phénomènes qui semblent déjà normaux aux jeunes générations. Du coup, on les intègre à un horizon de vie qui réduit la volonté de les combattre. Au plan du terrorisme, il en va à peu près de même avec le phénomène des « bombes humaines » qui, pratique atroce, est devenu une sorte de manifestation normale du terrorisme.

Ainsi, sous différentes formes, l’ère des guerres du climat a commencé. Les choses pourraient cependant changer, pense Harald Welzer, si le terrible problème climatique avec toutes ses conséquences était pensé un terme de culture tel que, de plus en plus, les communautés humaines opteraient, face à ce problème, pour de véritables choix de société, qui seraient aussi des choix de modes de vie Et de donner l’exemple de la Norvège qui choisit dès à présent de se doter d’un système énergétique autonome pour l’avenir ou de la Suisse qui privilégie un réseau ferroviaire serré et efficace en dépit de son relief difficile. Initiatives qui peuvent paraître dérisoires à l’échelle de la planète mais qui sont symboliques de choix résolument en rupture.

Harald WELZER, Les Guerres du climat. Pourquoi on tue au XXIe siècle, Paris, Gallimard, « nrf essais », 2009. 24,50 €. .

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