Ecoconstruction et agroécologie : L’architecture de cueillette – Proto-histoire du bâtiment

terrecooperative.ouvaton.org, Alain Marcom, le 13 avril 2008

http://terrecooperative.ouvaton.org/spip.php?article24

Ce texte fait partie du « Petit Précis d’Agroécologie » Nourriture, Autonomie, Paysannerie, sous la direction de Silvia Perez-Vitoria et Eduardo Sevilla Guzman, édité par La Ligne d’Horizon, 7 villa Bourgeois 92240 Malakoff et qu’on peut le commander pour la somme redoutable de 6 € + frais de port

Ecoconstruction et agroécologie : L’architecture de cueillette – Proto-histoire du bâtiment

Jusqu’en 1750, origine de la mécanisation, les maisons de la grande majorité de la population mondiale étaient forcément des maisons à faible impact environnemental. Elles étaient issues de matériaux de proximité, montés avec un savoir faire local et dans le cadre d’une économie faiblement marchande. Le travail de mise en oeuvre était basé sur la consommation d’une énergie métabolique humaine ou animale. On était parfois aidé par les cours d’eau ou le vent à fin de transport ou d’aide mécanique au sciage des arbres ou de taille des pierres, pour la très ténue minorité des puissants économiques, politiques ou religieux.

Mais pour l’immense majorité de l’humanité, c’était le contexte général de l’architecture de cueillette. Ce qui ne servait pas, voire ce qui gênait dans l’agriculture, était utilisé en construction. On gérait plus qu’on ne cultivait des matériaux comme le bois ou les roseaux. On construisait avec les pierres qui affleuraient à la surface du champ et avec la terre des coins les moins fertiles. L’impact environnemental principal était du à la cuisson de la terre pour les briques ou les tuiles, et à la cuisson de la chaux, dans les régions où ces cuissons étaient pratiquées. Mais ces derniers matériaux étaient utilisés avec une grande parcimonie, surtout que la population mondiale était bien inférieure à la population actuelle, puisqu’elle n’atteint son premier millard d’habitants qu’au début du 19 ème siécle….

Seuls les monuments, bâtiments des puissants, s’exonéraient de cette pratique par l’importation de matières venues de loin, quand les matériaux locaux n’étaient pas assez prestigieux et coûteux pour éblouir les passants. En effet les matières pour construire étaient, et restent encore aujourd’hui lourdes et leur transport avant le règne des camions, des autoroutes et du pétrole, avait un coût considérable. A partir de 1850, la machine thermique a peu à peu permis de transformer la matière, de la transporter plus facilement sur de plus grandes distances. Le train, l’acier, le bateau à vapeur, le ciment, les engins de carrière ont transformé les matériaux et les savoir faire dans les pays en voie d’industrialisation tout au long du 19 ème siècle.

La croissance des villes dans le « premier monde » a participé à la naissance d’un marché du travail dans le bâtiment. Un secteur important de l’économie est né à partir de la révolution industrielle. Alors que le ciment est inventé au début du 19 ème, c’est vers le milieu de ce siècle qu’est déposé le premier brevet du béton armé, et c’est dans la dernière décennie du 19 ème qu’on voit apparaître des chantiers de construction d’immeubles en béton armé en Belgique, chantiers effectués par des entreprises allemandes. A ce moment, nous sommes au début de l’« art nouveau », et ce sont les capacités plastiques du béton qui sont recherchées.

L’industrialisation du bâtiment en France

La reconstruction après la première guerre mondiale a vu la première tentative de bétonnisation dans le Nord Est de la France. Cette tentative parfaitement réussie du point de vue économique, fera du chemin, bien que la ligne Maginot ait peu convaincu. L’occupation allemande, avec le chantier du mur de l’Atlantique a confirmé le formidable potentiel du béton et la facilité de façonnage, aussi appelée formation, de la main d’oeuvre. C’est fort de ces réussites économiques et mécaniques resplendissantes que le gouvernement provisoire de 1944 va se lancer dans une stratégie d’industrialisation à outrance sous prétexte de « reconstruction ». Les écoles d’ingénieurs formatés à ce projet, et les recherches pour la modélisation de ce matériau emblématique de la modernité, vont fleurir un peu partout en France.

Les tâches de la chaîne de production du bâti vont être finement découpées et séparées, atomisées, taylorisées. C’est à l’aune de la flèche de la grue que vont se concevoir les cités de banlieue. De véritables usines de béton armé vont se monter à une extrémité du chemin de grue. Celle-ci distribuera les coffrages-tunnels ou les éléments préfabriqués au bout de sa flèche de chaque côté du rail, donnant naissance à deux barres parallèles. Sur ce process industriel de conception et de réalisation, un peu partout des cités des mille, deux mille, jusqu’à quatre mille logements vont être construites. La puissance publique ne va pas ménager ses commandes, en cités-dortoirs de banlieue, hôpitaux, écoles, bâtiment administratifs, barrages, ponts, etc… Le béton über alles établira de la sorte sa domination actuellement encore sans partage. Un hasard bien planifié fait donc que nous avons aujourd’hui en France les deux plus puissants groupes de bâtiment mondiaux, et le premier producteur mondial de ciment.

De l’autre côté du Rhin, la tradition fédéraliste a engagé l’Allemagne dans une autre stratégie. Le montant des destructions était bien supérieur là-bas qu’ici. Mais là bas on a investi les fonds du plan Marshall dans le redressement du capital industriel lourd. Les régions, avec de très faibles moyens, ont eu en charge la « reconstruction ». Ainsi, on a pu voir des techniques traditionnelles régionales normalisées, et des ouvrages pédagogiques de vulgarisation de techniques constructives simples à base de matériaux peu transformés et de proximité diffusés, favorisant l’autoconstruction, l’apprentissage et la reconstruction d’un tissu économique constitué essentiellement de petites entreprises. L’organisation politique a produit une forme de retour à l’architecture de cueillette. Les savoir faire locaux, ancrés dans un territoire producteur de matériaux, leur écosystème, ont pu ainsi perdurer. Sur ces pratiques et sur ces matériaux, tout au long de la deuxième moitié du vingtième siècle s’est développée une économie de production de matériaux relativement écologiques,.Ce lien avec leurs traditions constructives, allié à une certaine adaptation à la demande européenne a fait qu’aujourd’hui les matériaux « écologiques » d’origine industrielle et destinés au bâtiment nous viennent pour la plupart d’outre-Rhin. Alors qu’en France, la commande publique, la formation, les assurances, la réglementation, et la banque, tout bornait la filière de la construction pour qu’elle aille dans le sens d’une plus grande industrialisation….

On doit trouver là l’essentiel des éléments d’explication du fait que la culture constructive respectueuse de l’environnement n’est le fait, en France ces dernières années, que de quelques « aventuriers du bâtiment », les écoconstructeurs.

Le rapport Meadows, plutôt connu sous le nom de « rapport du club de Rome » l’avait dit dès 1972 : la planète terre n’est pas infinie, elle a des limites. Si nous ne reconnaissons pas ces limites, la puissance de nos machines et de nos capitaux nous conduira dans le mur. Seul peut nous sauver de la catastrophe, un infléchissement vers la baisse de nos prédations et de nos productions de déchets. Il faut ici, également mentionner le travail d’Ivan Illich, qui en 1973, publiant son « énergie et équité », montrait le lien indissoluble entre les préoccupations matérielles et les préoccupations culturelles et sociales des réponses écologiques nécessaires au bien être de tous les humains. Mais il a fallu plus de trente ans et trois crises pétrolières pour que ces messages soient entendus. Encore n’est- il pas sûr que cette fois sera la bonne !

Depuis la fin des années soixante, il y a un peu partout dans le monde des gens qui interrogent et remettent en cause le mode de production industriel du bâtiment : l’efficacité énergétique à l’usage comme à la construction, la préservation de la santé, la dégradation des conditions de travail dans le bâtiment, l’écart entre le prescrit et le produit, la réponse inadaptée apportée aux demandes sociales, ou la production de déchets, sont quelques uns parmi les principaux facteurs de préoccupation de ces constructeurs-chercheurs.

L’industrie française du bâtiment qui, à l’entendre, ne produit que des matériaux écologiques, respirants, recyclables, durables, sains, respectueux de l’environnement etc.. produit, principalement de la confusion, et du discours de communication commerciale désormais repeint en vert. Une partie non négligeable du travail des écoconstructeurs consiste donc à démonter ces discours et à les remettre en perspective, à opérer du discernement. Pour cela, nous disposons de quelques bons outils de tri que sont les concepts d’énergie incorporée, ou l’émission de CO2 . La nouvelle notion d’intensité sociale qui mesure la quantité de temps de travail humain par unité d’énergie incorporée est assez éclairante également.

Etre du côté du problème… Les Français sont chacun tributaires d’un patrimoine de quatre cent quarante cinq mètres carrés de surface artificialisée, c’est à dire recouverte de voies de circulation, de bâtiments d’activité ou résidentiels. Si tout avait été construit selon les modes industriels actuellement en vigueur, l’énergie ainsi immobilisée représenterait plus que la production annuelle mondiale actuelle de pétrole. Heureusement, le renouvellement du parc immobilier français n’est que de 1% par an, ce qui fait qu’une grande partie de ce parc a été construit avec des pratiques pas ou peu industrialisées. On estime que deux millions et demi des logements soit 8% du parc actuel, sont des bâtiments anciens construits en terre ou en terre et pierre, c’est à dire selon des techniques relevant de l’architecture de cueillette.

A cette forte et croissante consommation d’énergie et cette forte et croissante prédation de ressources pour la construction, s’ajoute une consommation importante d’énergie affectée à l’usage. Il faut une centaine de millions de tonnes d’équivalent pétrole chaque année en France pour chauffer l’hiver ou refroidir l’été, produire l’eau chaude sanitaire, éclairer, ventiler etc les logements et les bâtiments du tertiaire. Et cette facture énergétique augmente chaque année de 2 à 3 %, alors que les normes d’isolation sont de plus en plus exigeantes. Les bâtiments des années cinquante et soixante, érigés dans les balbutiements de la construction industrielle, déjà très fortement consommatrice de ressources et d’énergie, sont les plus dispendieux en chauffage-rafraichissement.

La part d’émissions de gaz à effet de serre par le bâtiment en France, bon indicateur du soutien durable apporté au changement climatique, est de plus de 40%. Il convient de rappeler que l’objectif du protocole de Kyoto, est de diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, ce qui ramènerait nos émissions dans le bâtiment au niveau de celles des années soixante. Si depuis ces années-là nous avions construit en paille, terre, bois, pierre, briques, même avec le soutien de la mécanisation, nous n’aurions certainement pas autant de soucis climatiques et vraisemblablement aucun effort à faire pour atteindre les objectifs de Kyoto…. puisque nous n’en serions pas sortis.

L’impact environnemental du secteur de la construction ne s’arrête pas là. La santé des habitants est largement atteinte par les matériaux et les pratiques en cours. La qualité de l’air intérieur, est l’objet de travail d’un observatoire missionné par l’état français, l’OQAI. Il fait chaque année des constats inquiétants sur la situation dans les logments et les bureaux, sans pour autant parvenir à faire évoluer la situation. Il faut dire que son conseil scientifique est bien encadré par les organisations professionnelles des dirigeants de l’industrie. Quant à la médecine du travail dont un récent fait divers a mis au jour le fait qu’elle était vraisemblablement une source de financement occulte du patronat français, elle ne parvient pas à peser sur les pratiques professionnelles si ce n’est en culpabilisant les ouvriers eux-mêmes.

La catastrophe silencieuse de l’amiante, dont on peut rappeler qu’elle tue en ce moment quatre mille personnes par an, et dont le total avoisinera sans doute, les cent mille morts d’ici 2020, n’a absolument pas fait varier les méthodes de mise sur le marché des matériaux. Les phtalates contenus dans le PVC, ou les esther de glycol dans les peintures sont sans doute les prochaines vedettes des scandales à venir. Le principe de précaution dont on nous rebat les oreilles semble s’appliquer surtout au purin d’ortie. Le très récent livre, issu de l’enquête de Nicolas Jounin, « Chantier interdit au public », donne un aperçu des conditions de travail inhumaines, dans le bâtiment contemporain. Alors que la presse et la télévision s’émeuvent de négations, certes réelles, des droits de l’homme dans des pays lointains, elles ont bien peu d’intérêt pour les dizaines de milliers de travailleurs-esclaves, immigrés, souvent sans papiers, qui construisent nos logements, nos écoles, nos bureaux, nos supermarchés, etc.. près de nous et sans beaucoup plus de droits humains. Avoir échappé aux requins de la méditerrannée semble un bon critère d’embauche, pour un poste dangereux et précaire dans le bâtiment conventionnel-industriel.

L’état des lieux serait incomplet si on ne précisait pas que l’activité de construction produit chaque année en France trente millions de tonnes de déchets. Par comparaison, les déchets ménagers ne sont « que » de vingt cinq millions de tonnes. Dans ces déchets, on trouve dix millions de tonnes d’« isolants et associés », matériaux dont on ne peut pas faire grand chose, si ce n’est les enfouir en décharge, joli cadeau aux générations futures. Quant aux travaux publics, ils produisent chaque années cent millions de tonnes de « déchets », essentiellement composés de terre et de pierre, ce qui constituerait une ressource pour l’architecture de cueillette. En contrepartie, on extrait environ cent cinquante millions de tonnes de sables et graviers, principalement pour faire du béton. Cherchez l’erreur..

En prenant un peu de distance pour donner une image du contexte économique, on peut noter que les bâtiments ne sont pas des biens comme les autres. En effet, un logement n’est pas détruit par l’usage. Au contraire même, il se valorise avec l’usage. Plus une maison est habitée, plus elle est entretenue, et plus elle prend de la valeur, toute chose étant égale par ailleurs. Une maison, un appartement, comme un bâtiment d’activité, ont une dimension de refuge de valeur, une dimension spéculative indéniable. On épargne ainsi facilement et avec confiance dans « la pierre », même si, de nos jours cette pierre est en béton armé et en laine de verre. La dimension très spéculative de la construction n’est sans doute pas sans rapport avec l’engagement industriel de l’Etat français lors de la reconstruction d’après la deuxième guerre mondiale, ni avec la frénétique industrialisation des procédés utilisés. Et si l’industrie y a si bien réussi, c’est que les marges potentielles y étaient larges. Le bâtiment pré-industriel utilisait beaucoup de main d’oeuvre, intrant au coût toujours important. En investissant dans la mécanisation, et en normalisant, tout en étant rassurés sur l’avenir, grâce à la commande publique, les puissants économiques ont trouvé dans l’activité de construction un gisement de profit important.

En novlangue, managementalement correcte, après un tel diagnostic, un DRH pertinent terminerait en disant que la construction en France a de fortes marges de progression…

…Ou être du côté de la solution : Si le problème, c’est que le secteur de la construction actuel consomme et gaspille beaucoup de ressources et d’énergie, qu’il rend malade, qu’il ne respecte pas ses ouvriers, qu’il n’est pas efficace thermiquement et qu’il contribue beaucoup au changement climatique, alors, la solution, c’est une activité de la construction qui utilise parcimonieusement les ressources et l’énergie, respecte les acteurs du bâtiments, n’affecte pas la santé des ouvriers et des habitants, est efficace thermiquement, produit peu de déchets, et freine le changement climatique.

Beau projet….surtout si l’on y ajoute la tentative de s’extraire de la dimension spéculative, en fin de compte, commanditaire des autres maux. Mais c’est un combat d’une autre ampleur.

Techniques, matériaux…..

Si l’on veut construire et habiter en étant plus respectueux de la planète, on peut utiliser des matériaux végétaux, surtout s’ils sont des co-produits de l’agriculture comme les pailles, dont on peut judicieusement utiliser les performances thermiques. Les matières végétales sont de bons freins au changement climatique parce qu’elles fixent le carbone dans leur structure. Entièrement biodégradables donc non producteurs de déchets, les végétaux sont fiables très longtemps quand ils sont maintenus au sec et à l’abri des animaux. Des roseaux, pas vraiment cultivés mais disponibles dans des zones de marécages difficilement utilisables en agriculture, peuvent être également utilisés en couverture. Si l’on construisait les cinq cent mille logements français annuels en paille, on retirerait des cycles agricoles huit à dix millions de tonnes de paille, soit le cinquième ou le quart de la production française. La prédation de matière organique serait donc tout à fait acceptable, si pour la compenser, les différents composts ménagers issus des toilettes ou de la fraction fermentescible des déchets ménagers était rendus à l’agriculture, vraisemblablement une vingtaine de millions de tonnes.

Pour la structure, le bois de vrais arbres, dont la culture en haie était autrefois l’objet d’une gestion sur plusieurs générations, sans autre transformation que l’abattage et le sciage, reste un inépuisable gisement d’efficacité et de beauté. Avec les forêts que nous avons dans ce pays, même si elles ont été plantées pour le papier, nous disposons d’une ressource confortable. Et si nous l’utilisons avec le savoir-faire des bûcherons et des derniers vrais charpentiers encore en vie, nous pouvons être rassurés pour l’avenir du bâtiment. Une organisation des fermes plus proche d’un système de polyculture serait tout à fait compatible avec une économie de la construction écologique.

On peut lier des éléments de remplissage ou de structure avec la terre, qui est actuellement encore, de par le monde, le principal matériau de construction en service. Plus de la moitié de l’habitat sur terre est en terre, justement, et cette proximité sémantique n’est certainement pas due au hasard. Son pouvoir collant qui en fait un excellent liant des matériaux végétaux, sa résistance mécanique tout à fait suffisante pour des constructions de vingt à trente mètres de haut soit cinq ou six étages à Lyon, à Lhassa, ou au Yémen, son abondance sur la planète, sa non toxicité en fait une compagne incontournable de l’écoconstruction.

La pierre tendre, brute ou taillée grossièrement, est également un matériau de structure premier. Elle peut être bâtie à la terre ou à la chaux. La plus ancienne construction connue à ce jour est un mur d’abri sous roche, en terre compactée sur un soubassement en pierres, en Palestine. Ce mur, de la civilisation de Natouf, est vieux de douze mille ans et il est construit selon la même technique que les fermes en pisé du début du 20 ème siécle en Dauphiné, Auvergne ou Limousin.

La chaux et la terre cuite, bien que consommatrices d’énergie lors de la cuisson, permettent de tenir les matériaux végétaux ou les matériaux hydrophiles éloignés de l’humidité par des enduits ou par des soubassements étanches.Utilisés logiquement pour les seuls usages où ils sont nécessaires, ils ne devraient pas constituer une prédation importante dans la nature, ni une forte émission de gaz à effet de serre. Leur disponibilité proche partout en abondance rend ces matériaux premiers attrayants puisque le coût environnemental de leur transport, de leur transformation et de leur mise en oeuvre peut être extrêmement faible. Leurs caractéristiques sanitaires sont excellentes dans la plupart des cas. Leur biodégradabilité est totale sauf pour les matériaux cuits, ce qui incite à les employer avec retenue. Et les savoir-faire qui les accompagnent sont facilement transmissibles.

Le catalogue, gratuit et permanent des bâtiments du patrimoine inscrits dans leur paysage, donne une illustration des possibles de ces matériaux, et de leur résistance à l’usure du temps. Le quartier de la Croix Rousse à Lyon, des centaines de milliers de maisons, parfois de centre ville comme à Toulouse ou à Rennes, dont souvent les habitants ignorent qu’ils sont en terre, ainsi que des bâtiments du service public, debout avant la révolution industrielle, les nombreuses maisons rurales, attestent de cette évidente banalité : bien avant l’industrialisation des matériaux de construction, on savait déjà construire durable. Au final, quand on rapproche la démolition, fort en vogue actuellement, des immeubles de béton des années cinquante ou soixante, « usés » au bout de trois ou quatre décennies, et l’indolente présence de maisons de village ou de campagne en torchis, en briques, en pisé, en pierres ou en adobes, qui sont là depuis deux, trois ou quatre siècles, et toujours en service, on peut se demander où réside la fiabilité des techniques constructives et la durabilité des matériaux.

 La palette des matériaux écologiques reste entière, mais la survivance de savoir-faire locaux est ténue. Elle est cependant encore partout suffisante pour surmonter les défis qui nous attendent. Evidemment, la dérive qui consiste à faire fabriquer des briques de terre par de la main d’oeuvre captive ou des orphelins, puis à les convoyer par camions sur des milliers de kilomètres pour bâtir en pays riche une maison présentée comme respectueuse de l’environnement et du commerce équitable, est toujours possible. Nous vivons en effet dans un monde économique pas plus soucieux d’environnement que de respect des humains, Mais, pour autant, cette pratique de construction ne peut pas être acceptée comme de la construction écologique. Elle fait toujours partie du problème. Pas de la solution. Pas plus d’ailleurs que ne font partie de la solution, les maisons en bois généreusement traitées à la chimie, préfabriquées dans les usines scandinaves à partir de main d’oeuvre d’Europe centrale, à bas coût, et livrées en camion dans le sud de l’Europe.

…. culture constructive… Si les techniques basées sur des matériaux premiers sont si peu employées en France, c’est que d’une part la réglementation les étrangle et d’autre part que la concurrence entre la machine et l’humain est terriblement déloyale. Les exigences réglementaires très favorables aux matériaux industriels, issues de la normalisation et des techniques standardisées déterminent directement l’assurabilité. Celle ci détermine totalement la commande publique et très fortement la commande privée. Elle dimensionne le marché, donc les besoins en compétence, et les programmes d’apprentissage. Pourquoi une entreprise chercherait-elle un ouvrier qualifié dans une technique ignorée par la réglementation et par les assurances, et dont le marché est quasi inexistant ? Et s’il y a absence de transmission d’une technique, surtout lors de l’apprentissage initial, la représentation de cette technique dans la culture constructive du jeune professionnel est tout à fait péjorative. Elle est synonyme de passéisme, de bricolage, voire de conservatisme rétrograde. Surtout si au cours de sa vie professionnelle, cet ouvrier, ignorant de ces procédés, les rencontre sur un chantier de rénovation. Il éprouvera alors de grandes difficultés techniques à faire cohabiter des procédés anciens traditionnels avec des produits contemporains.

…et économie… Pour construire, il est incomparablement plus coûteux d’embaucher de la main d’oeuvre humaine que de faire tourner des machines. Pour accomplir une tâche à fort contenu physique, un ouvrier du bâtiment ou un ouvrier agricole coûtent en France de cinquante à deux cent fois plus cher qu’une machine alimentée par du pétrole ou de l’électricité selon l’énergie utilisée et toutes charges incluses. Il faut donc n’avoir aucune sympathie avec les lois économiques actuelles pour préférer l’emploi à l’investissement dans ces secteurs économiques. Et pourtant, le travail humain est non polluant, il a le plus faible impact climatique, il est renouvelable s’il est produit dans des conditions dignes, et il a l’avantage d’être un moyen de distribuer de la richesse, du droit et de la sécurité.

..sur la voie du changement ? Changer cet état de fait suppose une modification à tous les niveaux : les constructeurs doivent individuellement changer, les programmes d’apprentissage et les instances professionnelles doivent changer, enfin la réglementation et les acteurs économiques maîtres d’ouvrage doivent changer. La généralisation d’une culture constructive plus favorable au bâtiment respectueux de l’environnement passe par une diffusion des savoir-faire anciens et de leurs déclinaisons actualisées, ainsi que par une ouverture à la reconnaissance réglementaire. Elle passe par la construction d’une authentique culture individuelle et collective du retour d’expérience et du bâtiment comme lieu déchanges et de débats.

C’est bien en analysant du point de vue de tous les porteurs d’enjeux à dix ou vingt ans, les résultats des techniques mises sur le marché que l’on peut en connaître l’efficacité globale. Ces analyses, doivent se faire en conformité avec les caractéristiques du problème énoncé ci dessus. Les acteurs de ce débat doivent être les pouvoirs publics, les acteurs de la construction, les habitants et les usagers. Réduire la pertinence d’un matériau à son seul résultat en efficacité thermique serait un peu court. Ce serait un très regrettable raccourci, or c’est ce qu’on s’apprête à nous servir en guise de « révolution culturelle issue du Grenelle ». Dans ce cas là, l’amiante serait assurément qualifiée, par exemple.

Le tryptique premier sur lequel repose la construction conventionnelle (1)dur, même s’ili s’agit de grosses prédations et s’il y a production notoire de nuisances et de déchets, 2) peu coûteux lors de la fabrication, même si c’est coûteux à l’utilisation, 3) mise en oeuvre sans gros besoin de qualification même si les conditions de travail sont redoutables) doit être remis en cause. Analyse des cycles de vie, bilan de l’énergie incorporée, émission de gaz à effet de serre, intensité sociale du travail, doivent faire partie des critères de validation des choix constructifs sur les opérations de logement, d’activité, comme d’urbanisme ou de grands équipements. Les appels d’offre et la consultation des entreprises doivent comporter des exigences de renseignements sur ces éléments de choix. Pour ce faire, les industriels doivent fournir ces informations concernant les produits qu’ils mettent sur le marché. La comptabilité des entreprises comme le suivi des consommations du bâtiment en usage doivent comprendre également ces dimensions.

Coopération de l’écoconstruction et de l’agroécologie .

Historiquement, le bâtiment et l’agriculture ont des parcours très voisins. Les paysans et les maçons ne se sont professionnellement différenciés en France qu’avec la révolution industrielle du 19 ème siécle. Les milieux professionnels de ces deux activités ont une histoire proche en matière de rapports à l’immigration de la main d’oeuvre, elle-même liée à la mondialisation de l’économie. La pression réglementaire et industrielle y a été parallèle. La terre agricole autant que l’immobilier sont depuis longtemps des bastions de la spéculation. Le coût de la main d’oeuvre est une part importante des coûts finaux des produits dans les deux activités. Les masses des produits travaillés sont également importantes, c’est d’ailleurs pourquoi les engins de chantier ont beaucoup à voir avec les engins d’agriculture. Tels sont quelques uns des points communs de ces deux secteurs d’activité.

Une culture agricole coopérant avec une culture constructive dans le cadre de l’agroécologie, synergie dans laquelle les co-produits des travaux de la ferme deviendraient des matériaux de construction utilisables facilement, à bon escient et sans intermédiaire, par des professionnels ou des autoconstructeurs proches, assurerait une réduction très importante de l’impact environnemental du bâtiment. Dans leurs pratiques professionnelles quotidiennes, les charpentiers, les menuisiers, les paysans ou les maçons oeuvraient depuis très longtemps munis d’une ardente patience avec des matériaux communs ou voisins. On peut aisément voir que dans une société où l’agroécologie et l’écoconstruction seraient devenues banales, les écoconstructeurs et les paysans seraient complémentaires du point de vue économique, matériel et technique. L’intensité des échanges économiques installés sur un mode capillaire entre ces deux secteurs économiques redonneraient vie et pertinence au « marché du bourg » tel que l’évoquait Fernand Braudel.

Il semble aujourd’hui, que de renouer avec le fil historique commun des paysans et des bâtisseurs pour reprendre le dialogue économique, culturel, et technique, tout en respectant l’environnement, soit un bon élément de stratégie pour maintenir ouvert un passage vers le futur.

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