Peut-on s’en sortir dans le cadre d’un capitalisme réformé ?

pressegauche.org, Jean Gadrey, le 6 juillet 2010

Peut-on s’en sortir dans le cadre d’un capitalisme réformé ?

La crise actuelle, ainsi que la montée des périls écologiques (composante de cette crise), renforcent les doutes sur la possibilité de concilier capitalisme et société solidaire et soutenable, ou développement humain durable.

Je n’ai pas de réponse ferme et définitive à cette redoutable question. Il me semble quand même que la crise actuelle, ainsi que la montée des périls écologiques (composante de cette crise), renforcent les doutes sur la possibilité de concilier capitalisme et société solidaire et soutenable, ou développement humain durable.

Voici neuf caractéristiques structurelles du capitalisme qui font douter de sa capacité à nous sortir de la zone des tempêtes à répétition. Sans doute chacune d’entre elles n’est-elle pas décisive. Mais leur ensemble l’est peut-être plus.

1. Le capitalisme s’est historiquement développé sur la base (entre autres) de la destruction et de la privatisation de biens naturels « communs » (en propriété commune : terres, forêts…), aussi bien au centre que dans la périphérie colonisée ou dominée. Ces expropriations/privatisations ont d’ailleurs beaucoup contribué à la « mise au travail salarié ». Et cela continue allègrement aujourd’hui. Or on ne voit pas comment on pourra sortir de la crise écologique sans reprendre le contrôle collectif, ou « communal », ou coopératif de ces biens communs privatisés : la terre, les sources d’énergie, l’eau, les forêts, etc. Il faut y ajouter aujourd’hui le climat et la maîtrise de son changement. Pour l’instant, les acteurs dominants du capitalisme résistent puissamment à toute maîtrise collective des risques écologiques majeurs où ils nous ont entrainés.

2. Les dirigeants politiques libéraux ont offert sur un plateau au capital financier le pouvoir de contrôler la monnaie et le crédit, qui sont ou devraient être eux aussi des biens communs, et de créer tous les outils d’une spéculation permanente sur tout. On ne s’en sortira pas sans remettre les pouvoirs financiers à des pôles publics ou coopératifs débarrassés de la pression des actionnaires. Mais enlever au capitalisme les possibilités de la spéculation monétaire et financière, les paradis fiscaux reconnus ou de fait (comme la City), c’est le priver d’une de ses sources majeures de profit et de domination. Aux Etats-Unis, la part des banques dans les profits des entreprises est passée de 10 % en 1980 à 40 % en 2007 !

3. Le capitalisme ne cesse par ailleurs de s’en prendre aux biens communs sociaux que sont le droit du travail, la protection sociale et d’autres droits humains, les services publics, etc. et il est souvent parvenu à les faire régresser depuis les années 1980. S’agissant du travail, toute perspective de société soutenable passe par la promotion du travail décent partout. Le travail indécent est probablement la principale source de profit des multinationales (dumping social). Mais il est devenu aussi, dans les pays dits développés, sous la forme du travail précaire et des petits boulots, sous la forme de la pression à la baisse de la part de la valeur ajoutée revenant aux salaires, sous la forme de l’intensification du travail, un mode d’emploi hautement profitable que les entreprises revendiquent comme une nécessité pour leur « compétitivité ». 4. Le capitalisme global s’est développé sur le terreau d’inégalités sociales mondiales (prenant la forme du colonialisme puis du néocolonialisme : voir le film « La fin de la pauvreté ») qu’il a eu tendance à renforcer depuis trente ans et dont il tire une large part de ses profits. Or on ne résoudra pas la crise écologique sans les réduire fortement. Voir par exemple mon post du 3 septembre 2008.

5. Le capitalisme a besoin de susciter sans cesse des désirs de possession de marchandises en faisant passer le futile pour l’utile et les pulsions pour des besoins, en poussant au renouvellement rapide des achats. C’est pour cela qu’il dépense 500 milliards de dollars par an en publicité et sponsoring. Cette course mortelle devra cesser pour qu’on sorte des crises. Il faudra quitter la voie de la croissance quantitative et s’orienter vers une « prospérité sans croissance ». Je ne développe pas cette hypothèse, j’en ai souvent parlé.

6. Le capitalisme résiste férocement à Lire la suite