« Home » : Yann Arthus-Bertrand rend-il trop jolie l’écologie ?

tdg.ch, Claude Ansermoz, le 2 juin 2009

Yann Arthus-Bertrand rend-il trop jolie l’écologie ?

CINÉMA | Son film «Home» envahit les écrans du monde vendredi. L’homme est très contesté.

Il faudra être très fort pour échapper à Home. La terre «en danger» filmée du ciel par Yann Arthus-Bertrand envahira simultanément tous les écrans du monde (117 pays) vendredi prochain pour la Journée mondiale de l’environnement. A tarif réduit dans les cinémas (8fr.), gratuitement et en haute définition à la télévision (France 2 et TSR) et en libre téléchargement sur Internet. Sans compter les DVD (8fr.90) et les livres. But avoué de l’opération: toucher plusieurs centaines de millions de spectateurs. Plus que la finale de la Champions League de mercredi passé.

Financé par Pinault

Rarement l’alerte verte ne s’était donné autant de moyens. Financé à hauteur de 15 millions de francs par l’industriel François-Henri Pinault, Home a nécessité cinq cents heures de tournage dans 54 pays. Les rushs ont été ramenés à cent vingt minutes de documentaire avec la voix off de Jacques Gamblin, Glenn Close et Salma Hayek. Luc Besson s’est chargé de la distribution et Al Gore du consulting scientifique. Le marketing des produits dérivés est signé Sergio Rossi, Yves Saint Laurent, Gucci, Boucheron ou Bottega Veneta. L’écologie n’a jamais été aussi glamour.

Un esthétisme luxueux qui touche aussi la forme de Home. Vue d’en haut, même la pollution est belle. Cela peut brouiller le message. Tout comme le parcours de Yann Arthus-Bertrand, ancien photographe officiel du Paris Dakar pendant dix ans. Et qui n’hésite parfois pas à proposer ses services, via son son agence Altitude Anyway, a de grandes sociétés forcément polluantes. Comme par exemple des photos illustrant le rapport d’activité 2005 de Total.
Trois millions de livres

L’homme, qui gère très bien ses paradoxes (lire interview), a fait aussi de l’écologie aérienne son fonds de commerce. Le livre La Terre vue du ciel s’est vendu à plus de trois millions d’exemplaires. L’expo éponyme tourne toujours: Montpellier vient de payer 54 000 euros pour l’offrir gratuitement à ses contribuables cet été.

Un «hélicologiste»

Mais les détracteurs de YAB ne s’arrêtent pas là. A l’image de Vincent Cheynet, rédacteur en chef du mensuel Décroissance. Il a surnommé YAB «l’hélicologiste.». Rapport à sa propension à recourir systématiquement aux rotors pour ses projets. Pour Home, cela représente 1532,55 tonnes d’émissions de CO2. Que Yann Arthus-Bertrand «compense» via un chèque de 22 988 euros fait à sa propre fondation Action Carbone. Celle-ci investit cet argent dans un projet de réservoirs à biogaz en Inde.

Bref, pour Vincent Cheynet, c’est «du CO2lionalisme» visant à se dédouaner d’émissions dont il est aujourd’hui à l’origine en payant pour une action de réduction des émissions de demain: «Si tout le monde vivait comme lui, il nous faudrait mille planètes.» Kathrin Dellantonio, directrice de la communication de Myclimate, fondation spécialiste dans les réductions de CO2, en remet une couche: «On ne peut en tout cas pas dire que ce film est neutre du point de vue des émissions carbones. Calculer celles liées aux vols ne suffit pas. Il faudrait également tenir compte de l’électricité, du chauffage, des hôtels, des émissions individuelles de chaque collaborateur du film.»

«Il y a trop le feu au lac»

Reste que les politiciens verdoyants de Suisse romande pensent que YAB sert la cause. «Je n’ai pas besoin d’approuver moralement les activités d’un artiste pour trouver son œuvre intéressante», plaide Antonio Hodgers (Verts/GE). «S’il arrive à se rendre crédible avec ce nouveau discours aux yeux du public, il fait avancer les choses», renchérit Roger Nordmann (PS/VD). Il est arrivé à l’écologiste libérale Isabelle Chevalley de pleurer en regardant les documentaires de Yann Arthus-Bertrand. «Et si Total voulait aujourd’hui me donner un million pour mon combat, j’accepterais sans problème. Il y a trop le feu au lac. Peu importe la méthode.» ET, dont le cri «maison» a inspiré le titre du film, a le doigt qui rougit à nouveau.

 Interview : «Je pense être investi d’une mission»

«Home» est-il manipulateur ?

Je n’en sais rien, mon pauvre vieux. Bien sûr que je me considère comme investi d’une mission. Home est un film politique. Si manipuler veut dire convaincre, oui.

Comment gérer le paradoxe qu’une entreprise privée, donc polluante, finance un film sur l’écologie ?
Cela ne me gêne pas le moins du monde. C’est tout de même un film où on passe son temps à dire «vivons mieux en achetant moins». Pourquoi se montrer a priori cynique et sceptique? Les industriels ont aussi le droit de se réveiller, même si c’est un petit peu tard.
Il n’est donc pas paradoxal de filmer les sables bitumeux canadiens et de vendre des photos à Total pour ses rapports d’activité ?

Je n’ai jamais vendu de photos à Total! Et même si je l’avais fait… Il n’y a pas d’un côté les gentils écolos et de l’autre des salopards de pétroliers. C’est avec de telles simplifications que l’écologie a perdu des batailles électorales. Si l’écologie veut aujourd’hui dire anticapitaliste et si elle s’oppose à toute stratégie industrielle, je ne suis pas d’accord.

Que faites-vous personnellement pour l’écologie ?

Je suis un Blanc qui lit des bouquins scientifiques et essaie de moins consommer. Je mange plus local. Moins de viande et de poissons. Si possible, je prends le train. A Paris, j’ai un scooter et un vélo électrique. J’adore le covoiturage avec les voisins. Je suis en train de changer ma chaudière à mazout pour une au bois. J’ai des panneaux solaires et une voiture avec 150 000 kilomètres au compteur, que je ne change pas. Mais je ne suis pas un exemple.

Etes-vous «hélicologiste» ?

J’ai revendu mon appareil personnel il y a bien longtemps. J’adorerais filmer en dirigeable. Je suis conscient du problème et j’en parle librement. Mais l’avion pollue davantage que l’hélicoptère. On peut toujours discuter de l’efficacité de la compensation carbone, mais nous avons été les premiers à le faire. Et puis, la montgolfière, par exemple, consomme énormément de gaz et ne permet pas la même liberté de mouvement. L’hélicoptère, en termes d’indépendance, reste une machine inouïe.

Vue du ciel, même la pollution devient esthétique…

Faire beau, pour moi, cela amène toujours un peu plus. La beauté procure de l’émotion. En mettant les chiffres à côté, il y a forcément réflexion. Je vois les spectateurs ressortir abattus après le film. Ils se demandent ce qu’ils peuvent faire. C’est la preuve que cela fonctionne. On a tendance à ne souvent voir que le côté marketing de mes projets. Bien sûr qu’il y a chez moi l’ambition de faire de belles choses. Mais, derrière, il existe une vraie conviction et l’envie du travail utile. En France surtout, le succès amène toujours la suspicion.

6 Réponses

  1. Le temps est venu d’agir !

    Retrouvez-nous sur http://www.goodplanet.org pour débattre ensemble des solutions à adopter face à la crise écologique.

    Laissons aux autres le scepticisme et partageons nos idées !

    http://www.goodplanet.org

  2. ce film magnific qui nous a fait vibrez merci pour vous et tous .

  3. Je suis assez d’accord avec tout ce que DIT Y-A-B.

    Mais ce n’est qu’en surface. Plus profondément, plus concrètement, ce que l’on voit, ce que yab nous montre, me semble plus gênant. Il se contredit par la forme (comme prof d’arts plastiques, il me manque souvent le terme équivalent de « contredire » pour les formes…).

    La « perfection » de ses travellings (et son abus de l’effet Vertigo d’Hitchcock adapté à l’hélico…), l’absence de mauvais temps et l’absence de réaction des gens filmés font de son point de vue un point de vue à la Google Earth. La terre devient une sorte de jouet en 3D qu’on peut faire pivoter en tout sens, elle semble faite pour nous, ses formes et couleurs ont été sélectionnées pour ressembler à de jolies oeuvres abstraites.
    D’ailleurs il l’appelle Maison, décrétant qu’elle nous appartient. La nature présentée par yab se limite au statut de jardin, elle ne peut plus se concevoir comme étrangère à la culture.

    Il ne faut pas sous-estimer l’importance de ces signes : le discours écolo mis en voix off ne suffit pas à les recouvrir.

    A part ça, on remarquera au passage l’intrusion habituelle de la caméra chez les pauvres mais jamais aussi indiscrète chez les riches. On pourrait peut-être analyser aussi l’outil de la main-mise picturale, l’hélicoptère-caméra, utilisé davantage pour réciter que pour regarder (yab est bien différent de Godard). On notera aussi l’usage d’images de synthèse pour certaines animations : ce choix oppose yab à Nuridsany et Perennou, les réalisateurs du très beau Genesis…

  4. Bonjour,
    je travaille dans le secteur de la compensation de co2 et je souhaiterais savoir de quelle manière le livre home est compensé carbonne car rien e spécifique n’y est inscrit. Par contre, il utilise un papier plus écolo et plus faible en émission de co2.
    Bien à vous.

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