Jancovici : Taxer le carbone… pour éviter le « subprime »

Les Echos, Jean-Marc Jancovici, le 22 octobre 2008

Taxer le carbone… pour éviter le « subprime »

Economistes et élus continuent à raisonner comme si la production dépendait uniquement du capital humain et du travail humain, ce qui revient à croire que les ressources naturelles procèdent de la génération spontanée. A mesure que nous approchons des limites physiques de la planète, les raisonnements prospectifs basés sur cette économie « classique » feront faillite les uns après les autres. Les ressources gratuites étant partout dans l’économie, notre myopie, si nous ne la corrigeons pas, va entraîner un effondrement économique généralisé. Il est ainsi impossible de démontrer formellement que la crise financière actuelle est la conséquence de la hausse du prix des hydrocarbures, mais elle est cohérente avec cette hausse, tout comme l’été 2003 n’est peut-être pas la conséquence du changement climatique, mais c’est un processus cohérent avec ce qui est attendu. Fannie Mae et AIG, victimes du baril ? L’enchaînement serait le suivant : un renchérissement trop rapide de l’énergie entraîne récession et chômage, qui provoquent des défauts de paiement des emprunteurs qui ont emprunté à des banquiers pensant que les insolvables d’aujourd’hui seraient solvables demain grâce à la croissance, qui entraînent à leur tour des faillites en chaîne d’établissements de crédit. Avec un pic de production du pétrole qui se profile pour les cinq à dix ans à venir, tous les détenteurs d’un emprunt immobilier correspondant à l’acquisition d’un pavillon de banlieue vont devenir des débiteurs à risque.

Face à ce constat, c’est la plus orthodoxe logique économique, c’est-à-dire la gestion des ressources rares, qui doit nous conduire à mettre en place un système où les acteurs économiques intègrent la contrainte énergétique à venir en la voyant apparaître progressivement dans les prix. Faute de quoi, personne ne prendra à son niveau les décisions nécessaires à temps, et c’est alors la crise et l’effondrement qui se chargeront de régler le problème. Notre espèce s’adaptera, mais dans la souffrance.

Nous avons eu en France une occasion de nous pencher sur ce problème avec le Grenelle de l’environnement. Hélas, la réponse actuellement proposée par le gouvernement est la plus mauvaise qui soit. Au lieu d’une réponse fondée sur quelques grandes mesures très structurantes à l’effet d’entraînement puissant, le problème a été pris à l’envers, à coup de taxounettes et de mesures sectorielles mises en place de manière désordonnée. Les concepteurs politiques du processus sont ici en cause. Un petit coup de bonus malus ici, une taxe à l’essieu là, et un petit coup de certificats d’économie en plus : tout cela est un aimable bazar qui ne répond à aucune vision d’ensemble à la hauteur et à l’imminence de l’enjeu (mais le gouvernement a-t-il compris que l’échéance est de cinq ans, pas cinquante ?).

Le bonus-malus, pour prendre la mesure la plus médiatisée, est l’archétype de la mauvaise réponse à un vrai problème. Il ne contraint que l’appareil acheté et non la consommation globale d’énergie. Il inclut de fait une subvention à la consommation d’énergie pour la partie bonus. Sa généralisation à tous les produits supposerait d’en concevoir 10.000 avec une complexité et des coûts de gestion multipliés par le même facteur. Un prélèvement croissant sur toutes les énergies fossiles (fioul, gaz, carburants routiers), et même sur l’électricité non fossile à moindre taux, serait tellement plus simple ! Mais il est vrai que, pour le mettre en oeuvre, il faudrait dire la vérité aux Français, c’est-à-dire que le monde est fini, que nous n’aurons pas indéfiniment de plus en plus de biens matériels, que les éoliennes et les panneaux solaires ne vont rien y changer à court terme. La vérité, c’est que la consommation a tellement augmenté depuis un siècle en Occident que tous les acteurs devront être contraints, même ceux que nous appelons les ménages modestes. Tant que le président ne tiendra pas ce discours, qui est le seul qui corresponde à la réalité physique, il ne fait qu’entretenir des illusions dangereuses (et cette remarque vaut pour le PS), et il sera inutile qu’il se prévale du vrai courage.

Si le cahier des charges impose d’augmenter l’équité en contenant la pression fiscale, la redistribution peut être gérée d’une manière on ne peut plus simple. C’est la proposition de la Fondation Nicolas Hulot : les sommes prélevées chez les ménages via la hausse des prix de l’énergie sont redistribués aux ménages sous forme d’un chèque de l’administration fiscale en fin d’année, d’un montant égal pour chaque foyer. Les sommes prélevées dans les entreprises sont redistribuées sous forme d’une baisse des charges. Cette mesure est équitable (un rapide calcul montre que les ménages à faibles revenus toucheront plus qu’ils ne dépensent). Elle encourage l’emploi (elle avantage la main-d’œuvre et désavantage la machine). Elle incite à investir dans les économies d’énergie (ce qui est l’effet principal recherché) avant qu’elles ne s’imposent brutalement dans la douleur.

Pour l’instant, le Grenelle de l’environnement a seulement accouché de mesurettes fiscales, sans déboucher sur la hausse pourtant nécessaire de la fiscalité sur l’énergie. C’est non seulement décevant, mais aussi consternant. Nos gouvernants (et l’opposition, qui ne vaut pas mieux en la matière) n’ont toujours pas pris conscience du problème. A ce stade, il ne reste qu’un seul espoir. Les parlementaires pourraient refuser d’être la chambre d’enregistrement d’un projet insuffisant et le rendre plus ambitieux. La représentation parlementaire veut-elle montrer qu’elle sait prendre des initiatives courageuses ? Qu’elle le prouve en réintroduisant la contribution énergie-climat dans les lois Grenelle ! Ce n’est pas juste les pingouins qu’il s’agit de sauver, et encore moins l’automobiliste qu’il s’agit de punir. Il s’agit de sauver la stabilité économique de l’Occident avant que tout cela ne déclenche la prochaine catastrophe.

JEAN-MARC JANCOVICI est consultant, enseignant et co-auteur du Pacte écologique de la Fondation Nicolas Hulot.

3 Réponses

  1. […] à effet (que mettent en avant de nombreux autres « écolo-nomistes », tels que le Français Jean-Marc Jancovici ) n’est hélas jamais quantifié. L’explication reste donc hypothétique. Je n’ai […]

  2. […] à effet (que mettent en avant de nombreux autres « écolo-nomistes », tels que le Français Jean-Marc Jancovici ) n’est hélas pas quantifié. L’assertion reste donc une hypothèse. Je n’ai encore pas vu […]

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